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Ce soir, NT1 diffuse à 20h50 le film Moi César 10 ans 1/2 1m39 de Richard Berry. Retour dans les archives de Première pour découvrir l'interview de l'acteur-réalisateur français à la sortie de son film au printemps 2003.

PREMIÈRE / Pendant le tournage, vous nous aviez dit : "Tout n’est pas vrai dans mon film, mais j’ai beaucoup puisé dans mon enfance, dans mes traumas." À quoi faisiez-vous allusion?RICHARD BERRY / Quand je dis "ce que j’ai subi", je me réfère au fait que, jusqu’à l’âge de 4 ans, j’ai vécu en nourrice. Mes parents, représentants, partaient sur les routes. J’en ai éprouvé un manque. Par la suite, ils m’intimaient: "Va dans ta chambre ou bien..." et ils commençaient à sortir le martinet. C’était l’époque. Et puis, c’était mes parents. Je ne leur en veux pas du tout. J’ai dû leur poser des problèmes auxquels ils n’ont pu répondre que de cette façon. Ce qui m’a le plus gêné, c’est que j’étais relégué au stade neurovégétatif où du moment que tu manges, tu bois, tu dors... Tout ce qui relève de la sphère intellectuelle n’existe pas. À l’école, c’était pareil. Il fallait se soumettre. Je trimbale un souvenir de soumission permanente. Démultipliée parce que j’avais 5 ans en 1955. Il régnait encore un racisme latent qui transparaissait à l’école. Et relevait du traumatisme pour mes parents. Ma mère est née à Paris. Elle y a connu l’antisémitisme. Elle s’est cachée en zone libre. Elle a perdu une sœur, chopée devant ses yeux par la Gestapo. Elle ne l’a jamais revue. Mon père, lui, s’est appuyé trois ans de guerre. Ils ont vécu dans la peur. Ils m’ont élevé dedans. Cette peur a nourri le sentiment de ne faire partie ni du monde des adultes ni de la société à part entière. J’entends souvent des gens – pieds-noirs, beurs, Nord-Africains – parler d’intégration. Je ressens très bien ça. Cette sensation de ne pas appartenir à un ensemble dans lequel vous rêvez de vous fondre.À chaque fois que l’on aborde votre enfance au cours d’interviews, vous semblez éluder le problème. Pourquoi ?Longtemps, je n’ai pas voulu la dévoiler. Et puis, j’ai libéré des choses sur elle pour la bonne raison que je les ai comprises. Avant, je les subissais comme un handicap. Aujourd’hui, après plusieurs années d’analyse, j’ai remis le puzzle en place et défait la boucle des nœuds gordiens. J’ai la sensation d’avoir trouvé l’origine de ces nœuds. De les comprendre. De vivre mieux.Vous avez reproduit le schéma paternel ou vous y avez échappé ?Échappé, le mot est un peu fort. J’ai réagi. J’ai réfléchi. Mon père, lui, n’en a jamais eu le temps. Il était dans l’urgence, dans l’action, dans "comment gagner sa vie". Il n’avait ni les moyens intellectuels ni les moyens matériels de penser à tout ça. J’ai appris à moins subir que lui. Mon père a subi – et subit encore – des angoisses dont je me suis délivré.Et votre mère ?Ma mère, elle, a toujours suivi mon père, même sur les routes. Je crois qu’ils s’aiment très, très fort, mes parents. Je n’en ai encore jamais parlé mais j’ai une sœur gravement malade depuis la naissance. Ses reins ne fonctionnaient plus. Ma mère lui a donné un des siens. Du coup, elle ne pouvait plus travailler de la même façon dans son salon de coiffure. Mes parents ont donc pris une boutique de prêt-à-porter. Pour l’époque, ma mère faisait figure de femme active. Une femme indépendante, mais indépendante avec mon père. Quand ma sœur a été greffée à 16 ans et demi, j’en avais 19. Mon frère, lui, en avait 13. Or, l’autre jour, mon frère confiait à ma sœur: "Je n’ai aucun souvenir de ta greffe. On ne m’avait rien dit." Cacher un tel truc à un gosse de 13 ans, il faut le faire. J’imagine qu’il s’agissait de le préserver.Fonder une famille, construire ce schéma père-mère-enfant, pensez-vous que ce soit toujours possible, malgré vos séparations ?J’en rêve ! Même si je suis désormais persuadé que cette image d’Épinal – un couple pour toute l’existence – nous est inculquée. C’est une erreur de considérer que l’amour, ce n’est que ça. Il peut y avoir DES couples dans une vie, on peut réussir deux ou trois vies. Affirmer le contraire à ses enfants est le meilleur moyen de les faire souffrir.La stabilité est-elle plus difficile à atteindre dans le milieu professionnel auquel vous appartenez ?La difficulté du métier fait qu’on est très tourné vers soi. Dans une demande d’amour perpétuelle. Du coup, c’est difficile d’être totalement avec l’autre. Cela dit, tout le monde n’est pas aussi fragile et déstructuré que j’ai pu l’être. Je vois dans le métier des couples solides et assez charmants : Charlotte Gainsbourg-Yvan Attal par exemple.On parle de la grande famille du cinéma...Ça n’existe pas. Je n’ai aucune famille dans le cinéma. Ou ce sont des familles éphémères qui se font et se défont.Qu’est-ce que vous partagez avec le petit César de votre film ?À peu près tout. Et particulièrement le décalage qu’il y a entre ce qu’on vit et ce qu’on pense. J’avais cette voix off en moi, cette voix intérieure quasi adulte. Moi aussi, je me demandais : "Pourquoi tu m’appelles coco ? Pourquoi tu me sous-estimes ?". Comme César, je me sentais moche. J’étais celui dont on ne veut pas. Je ressemblais au petit Sitruk dans la vie. Il a de bonnes joues mais il est tout mince. Moi, pareil. J’avais beaucoup de complexes. Je me trouvais trop petit, trop brun. J’avais envie d’avoir une autre tronche. À l’époque, je me disais : "Pourquoi je n’ai pas les yeux bleus, les cheveux blonds?".Vous vous rendez compte de ce que vous dites : blond aux yeux bleus ?Je voulais me fondre dans quelque chose qui fasse qu’on ne m’identifie pas comme étant à part. Mais comme quelqu’un de bien français.Quand César assure que son père est en prison, on ne peut s’empêcher de penser aux Quatre Cents Coups de Truffaut ["Ma mère, m’sieur, elle est morte"]. C’est volontaire ?Truffaut a eu une énorme influence sur moi. Mais dans Les Quatre Cents Coups, Doinel ment. César, non. Il a recomposé une réalité avec le peu d’éléments dont il disposait. Ce que j’adore dans la démarche de Truffaut, c’est d’avoir raconté des choses intimes avec le recul qui en a fait du cinéma. Je l’ai croisé, mais je venais de commencer. Quand il est mort, je finissais La Balance.Vous n’avez pas eu envie de jouer dans Moi César...?Ç’aurait été se faire hara-kiri. Rendre le travail impossible avec les enfants. Moi, je veux faire de la mise en scène pour faire de la mise en scène.Ça fait longtemps que vous avez cette volonté de réaliser ?J’ai commencé dès l’âge de 16 ans par des courts métrages en 16 mm. Ensuite, je suis devenu acteur, mais l’image et la grammaire de l’image m’ont toujours fasciné. J’ai vécu de grands plaisirs d’acteur et j’en vis toujours, mais, à un moment donné, j’ai été frustré de ne pas faire mes plans. J’ai encore beaucoup de choses à dire et à montrer. J’ai envie de tourner un film noir par exemple.Vous avez dit que certains films vous avaient retardé. Ça signifie quoi ?Ah, ben, des grosses merdes !Vous en avez fait ?Ah oui, ouh là là, franchement oui, bien sûr! Enfin, attendez, peut-être pas de grosses merdes mais des trucs que je n’aurais pas dû faire.Pourquoi les avoir faits alors ?Il y a en général trois raisons pour lesquelles je peux m’engager sur un film : le scénario, le réalisateur et puis la production, la thune quoi ! Or, selon les époques, l’ordre est différent. Voilà : parfois, on choisit un film parce qu’on trouve le rôle formidable, d’autres fois parce que c’est très bien payé. Là-dessus je suis clair : je fais un métier. Celui qui fait œuvre complètement spirituelle, qu’il vienne me le dire.Les grosses merdes, ça nuit à une carrière, ou bien c’est vite oublié ?Je pense que ça nuit et... que c’est vite oublié. Mais ça retarde.Votre premier film en tant que réalisateur, L’Art (délicat) de la séduction, avec Timsit, c’est un bon souvenir ?Très bon. Je me cachais encore, mais je pense que j’avais déjà commencé à évoquer ce dont je parle dans Moi César... Ce que l’on ressent, ce que l’on subit. Là, c’était le décalage entre les hommes et les femmes.À 53 ans, bientôt, quel recul avez-vous sur votre métier ?J’avais tu la maladie de ma sœur, mais elle explique, pourtant, la relativité que j’ai des choses. Quand vous vivez avec quelqu’un qui peut mourir du jour au lendemain – parce que c’est toujours le cas pour elle –, ça change tout. Ma sœur a été greffée il y a trente-deux ans. Et, là, il faut un nouveau donneur. Mon frère est incompatible, moi je serai peut-être compatible, je lui donnerai alors un rein avec joie. Elle a vécu sous des doses de cortisone énormes. Elle est sourde à 80 %. Je travaille pour elle, pour l’aider. J’ai fait certains films pour elle. Et c’est peut-être la raison pour laquelle je n’attache pas à ma carrière une si grande importance que ça.Richard Berry a réalisé L'art (délicat) de la séduction en 2001, Moi César, 10 ans 1/2, 1m39 en 2003, La boîte noire en 2005, et L'immortel en 2010.Interview Sophie Grassin et Ghislain LoustalotMoi César, 10 ans 1/2, 1m39 est diffusé ce soir à 20h50 sur NT1