Première
par Thomas Agnelli
J.C. Chandor a conçu All Is Lost en réaction à Margin Call, son précédent film où il décryptait l’explosion d’une bulle financière, avec des joutes verbales et un beau casting enfermé dans un open space. Cette fois, il propose un acteur seul à l’écran (Robert Redford, magistral), en pleine mer et sans aucun dialogue. Une immersion totale dans l’horreur du vide qui interdit les artifices (pas de flash-back, de voix off ou de violons). Cet art radical du contre-pied permet au réalisateur de privilégier l’épure à la dramatisation et de traduire une situation complexe de manière simple. Ainsi, lorsque le personnage éprouvé, perdu sur son voilier, est ignoré par des paquebots de marchandises, Chandor sous-tend les ravages d’un capitalisme bien plus féroce que les requins. En tant que fondateur du festival de Sundance, Redford, lui, souffre pour un cinéma indépendant menacé de disparition. De la même façon qu’un homme voit défiler sa vie avant de mourir, des souvenirs émouvants de ses rôles chez Arthur Penn, Sydney Pollack, George Roy Hill reviennent nous hanter pendant l’épreuve de survie. Ce septuagénaire, revenu de tout, apporte son vécu, son expérience de la vie et ses combats à ce navigateur regardé par l’abysse, fragile comme une flamme sur le point de s’éteindre. À travers lui, Chandor demande si l’humanité mérite d’être sauvée et fait appel à la manière dont chaque spectateur appréhende l’existence, selon qu’il se considère altruiste ou misanthrope. Au-delà de son intensité inoubliable, la dernière scène d’All Is Lost sonde clairement cette foi et, en laissant les options ouvertes, produit un éclat éblouissant, proche de la grâce.