Date de sortie 15 mars 2017
Durée 99 mn
Réalisé par Julia Ducournau
Avec Garance Marillier , Ella Rumpf , Rabah Oufella
Scénariste(s) Julia Ducournau
Distributeur Wild Bunch Distribution
Année de production 2016
Pays de production France, Belgique, Italie
Genre Film d'horreur
Couleur Couleur

Synopsis

Dans la famille de Justine tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle est une adolescente surdouée sur le point d’intégrer l’école véto où sa sœur ainée est également élève. Mais, à peine installés, le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie. Les conséquences ne se font pas attendre. Justine découvre sa vraie nature.

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Critiques de Grave

  1. Première
    par Guillaume Bonnet

    Une femme française de 33 ans se lance à la poursuite des impossibles du cinéma français. Genre ? Quel genre ?

    Le titre international de Grave est Raw, c’est-à-dire « cru », dans le sens de « pas cuit » mais aussi de « direct » voire « brut ». Le titre français, lui, signifie qu’il est ici question de choses sérieuses, mais qu’elles seront abordées avec une certaine légèreté générationnelle. – T’as aimé le film, toi ? – Ah ouais, graave… Ce dialogue, entendu dans les rues de Cannes 2016, est devenu un phénomène industriel. Dans les festivals, tous les festivals, Grave/Raw cartonne. Dans les boîtes de prod’, toutes les boîtes de prod’, on en parle comme d’une révélation et d’un soulagement. Enfin !!! Mais enfin quoi, exactement ? Pour résumer : enfin un film de genre français qui tient la route, avec du gore, beaucoup d’énergie vitale, des références contre-culturelles seventies digérées (j’essaie de ne pas trop faire ce genre de jeu de mot, lecteurs, je vous jure que j’essaie…). Mais aussi (surtout ?) un film de genre français qui provient du cinéma pré-institutionnalisé de la Fémis et d’une certaine cinéphilie chic, plutôt que des rangs moins fréquentables des fans de Mad Movies et de cinéma alternatif. Ça n’a l’air de rien, mais c’est assez crucial dans le cap historique que le film se propose de franchir.

    Made in France

    Depuis plus de trente ans, la question du « genre » agite le landerneau du ciné français. « On » n’y arrive pas. « On » s’y casse régulièrement les dents (pardon…). Polars ? Rien, presque rien, si ce n’est JoeyStarr ou Daniel Auteuil avec un cuir sur les épaules, et quelques-mini productions à moins de 50000 entrées/monde. Fantastique ? Horreur ? Rien non plus, à part quelques (beaux) films sous-financés, sous-sortis et sur-interdits aux moins de 16 ans voire pire, auxquels la distrib’ française refuse de donner leur chance -Grave sortira finalement dans les réseaux UGC qui viennent de rétropédaler. Trop cru, sans doute… Le public sud-coréen boufferait pourtant du Grave au petit-déjeuner. C’est ainsi, le public français a l’estomac plus délicat.

    Au problème du genre made in France, Grave apporte donc une solution originale. C’est un film de femme (ce qui a son importance, le terme de genre étant aussi à comprendre sur ce terrain-là), la femme en question est surdiplômée (Normal Sup + Fémis) et incarne à ce titre la dé-ghettoïsation de certaines références esthétiques, jadis 100% captées par ce que l’on a appelé les « bisseux », puis les « geeks », mais désormais désenclavées et enseignées aux jeunes filles dans les écoles de cinéma parisiennes. Le frémissement ne date pas d’aujourd’hui. Céline Sciamma ou Rebecca Zlotowski, issues des promos précédentes de la Fémis, avaient déjà saupoudré leurs premiers films d’un zest de Carpenter, de Cronenberg ou d’Argento. Mais Julia Ducourneauva plus loin. Tout ce que tentaient Claire Denis ou Marina De Van dans le désert du début des années 2000 (Trouble Everyday, Dans ma peau) arrive ici à maturation. Découvert dans le contexte de la Semaine de la critique à Cannes, l’impact de Grave y était décuplé par la surprise. On ne savait pas qu’il s’agissait d’un film de genre (et encore moins d’un film sur le cannibalisme, décidément la tendance du cinéma d’auteur transgenre, collection 2016-2017). On pouvait donc le regarder « innocemment » comme un film de campus, fêtes, bizutage, musique à fond, drogues et nuits à rallonge, avant de le voir virer au rouge et déraper vers les thèmes de la chair et de la morsure.

    Possession

    Revu purement sous l’angle du genre, le film est plus programmatique, plus intello, moins sidérant, mais pas moins réussi. Pour Ducourneau, les codes horrifiques (y compris le gore) sont un moyen plus qu’une fin. Un moyen qui autorise à filmer une scène de dépucelage jamais vue (la fille qui se mord le bras en jouissant, pour ne pas crier trop fort – peut-être aussi parce que se mordre est une jouissance en soi). Le moyen de traiter la co-dépendance fusionnelle entre membres d’une même famille, le moyen de capter une jeunesse enragée, affamée de sensations extrêmes, avide de goûter à une certaine intensité viscérale et initiatique, un peu comme chez le ciné-poète libertaire japonais Sono Sion. Le moyen enfin d’approcher les corps des jeunes tels qu’ils sont : animés par la faim, l’ivresse, l’insatiabilité, l’envie de (dé)faillir, d’aller trop loin et de retrouver si ce n’est le sens des choses, du moins leur sensation brute.

    C’est ici que réside le projet profond – et vraiment iconoclaste – de Grave. Il ne s’agit pas tant de venger le genre français de ses impossibles, mais de venger le cinéma d’auteur Fémis de ses facilités, de ses bienséances, de son naturalisme, de ses petits théâtres timides, de ses encanaillements précieux. Tous les garçons et les filles de leur âge… Cela, seule sans doute une cinéaste née en 1983 (l’année de Videodrome…) pouvait l’accomplir. Aidée par Garance Mariller, gamine ahurissante dans un registre de transe et d’abandon pas vu depuis Possession, Ducourneau abat des murs auxquels le cinéma français se heurte maladivement depuis trente ans, parce qu’elle n’a jamais eu conscience qu’ils existaient. Well done, diraient les Américains, « bien joué ». Une expression qui signifie également bien cuit.

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