Première
par Sylvestre Picard
A la sortie de L’Exorciste du Vatican, rigolo one man show de Russell Crowe en curé paillard, on se disait que le sous-genre "film d’exorcisme" était l’un des sous-genres de film à ne jamais évoluer, à toujours mettre en scène les mêmes trucs sans guère de variation. Dans ce constat, il fallait surtout ne pas y inclure les suites du film originel : L’Exorciste 2 : L’Hérétique, L’Exorciste – La Suite et L’Exorciste Dominion tentaient tous les trois des variations très originales (mais oui) du sujet d’origine, portées par de véritables auteurs (John Boorman, Wiliam Peter Blatty et Paul Schrader). Mais à part ce brelan d’as (on n’inclut pas le prequel retourné par Renny Harlin, par charité chrétienne), le fabuleux The Strangers de Na Hong-jin, et peut-être L’Exorcisme d’Emily Rose de Scott Derrickson, tout le monde, dès qu’il se frotte à la possession, rejoue le trip séminal de Friedkin. Tout le monde, même David Gordon Green avec L’Exorciste : Dévotion.
"Pas de fan service !" promettait le réalisateur au micro de Première, dont le film suit pourtant religieusement la structure du film de Friedkin. Un prologue au parfum de vaudou dans un pays "exotique", une première grosse partie en forme de drame familial, puis une dernière dose de climax (devinez ce qui s’y passe). C’est prévisible, et pas très palpitant. Le plus convaincant est, et de loin, cette première partie où deux jeunes filles disparaissent dans les bois. Le mystère s’épaissit, l’ambiance est lourde, pesante, et elle est portée par un acteur super : Leslie Odom Jr., déjà brillant dans The Many Saints of Newark et impeccable en papa célibataire, même s’il n’a pas grand-chose à jouer. Pas de fan service, c’est vite dit : si balancer le fameux Tubular Bells en musique de fond lorsque le héros s’en va chercher Chris MacNeil (Ellen Burstyn, la maman de Regan chez Friedkin) n’est pas du fan service, alors qu’est-ce que c’est ? Les suites de L’Exorciste dialoguaient de façon bien plus fascinante avec la mythologie originelle, soit en la détournant (Boorman, Blatty), soit en la réinvestissant (Schrader). Ni détournement, ni réinvestissement ne sont à l’œuvre ici, seulement une suite en forme de remake qui ne se pose en rien de plus qu’une résurrection commerciale à l’ère de la franchisation.
Outre ces défauts purement techniques, Green n’en profite pas pour connecter intelligemment Dévotion avec l’Amérique contemporaine, celle de Trump et de QAnon. Le film délivre tout juste une esquisse de discours sur le vivre ensemble. Ici, c’est l’exorciser-ensemble qui tient plus de la blague folklorique que de l’autopsie d’un pays plus délirant que jamais. C’était peut-être plus facile avec Halloween, après tout. Il suffisait de relâcher Michael Myers dans la nature et d’observer le massacre pour en faire un polaroïd brutal des USA sécuritaires des années 2020 -même si ça n’a marché que le temps d’un film, on s’est bien satisfait de voir le boogeyman trancher dans le lard de l’Amérique profonde. Le mythe Myers était toujours vivant. Là, la possession démoniaque devient simplement l’incarnation d’un dilemme absurde qui permet un micro-twist final pas très folichon -et qui porte peut-être en creux une interrogation très ambivalente sur l’avortement, en plus. Sans spoiler, disons qu’il est question à un moment dans L’Exorciste : Dévotion de la culpabilisation de l’IVG, sans que le film n’en fasse un vrai sujet de terreur, ou même de cinéma. En 1973, Friedkin racontait le terrifiant calvaire d’une gamine martyrisée par deux prêtres dans une chambre, hors des lois et de la science. En 2023, l’interdiction de l’avortement se répand peu à peu aux USA -une contagion autrement plus flippante que L’Exorciste : Dévotion, ou que n’importe quelle fillette possédée par un démon.