Première
Si Frederick Wiseman a montré à maintes reprises son talent pour filmer les institutions politiques (Welfare, City Hall…), il prouve avec Menus-Plaisirs que sa méthode documentaire est imparable, quel que soit le domaine. Car en s’attaquant à la maison Troisgros, trois étoiles au Michelin et repris de générations en générations par la même famille, le documentariste filme la restauration de la même manière qu’un hôpital ou une mairie, c’est-à-dire de sorte à en révéler son fonctionnement concret par le montage de majestueux plans séquences. Mais la particularité de ce Menus-Plaisirs consiste justement à se faire plaisir en montrant le raffinement de ce restaurant, un sentiment peut-être inédit dans cette vaste filmographie où il s’est surtout illustré par ses regards critiques pointant des dysfonctionnements majeurs. Les aliments sont filmés avec une fluidité inouïe dans tout le parcours de leur cueillette à leur arrivée à la table aux clients, en passant par les caves et les cuisines. « Il dirige sans élever la voix, à l’oeil et au geste » explique Michel Troisgros, le père, en parlant de son fils qui a repris la carte après lui. Dans cet établissement aux grandes fenêtres en verre et sans hottes dans les cuisines, il nous est permis de tout voir, et surtout le management qui rend cette entreprise possible : les employés sont traités comme des membres de la famille, on s’assure que tout le monde se sente bien chez les Troisgros. En bref, on ressort du film comme d’un repas à l’une de leurs tables : forts repu, mais ô combien comblé.
Nicolas Moreno