Petit compte-rendu de ce qu'il fallait voir à Toronto
Demolition
Sur le papier, et parfois à l’écran, Demolition est une sorte de cauchemar spiritualo-lourdingue assez typique du cinéma indépendant américain. Un film sur des gens à la dérive, paumés, anesthésiés, qui n’aspirent qu’à ressentir quelque chose. Le héros en col blanc incarné par Jake Gyllenhaal perd sa femme dans les cinq premières minutes du film et passe le reste du métrage à essayer de comprendre pourquoi ça ne lui fait rien. Il déplace ses émotions ailleurs, il cherche une oreille attentive. Ce qu’il trouve auprès d’une maman stoner jouée par Naomi Watts, responsable du service client de la société de distributeurs automatiques à qui il écrit de longues lettres de réclamation après que son paquet de M&M’s soit resté coincé dans la machine des Urgences où sa femme a péri (Au secours !!!). « Pour réparer quelque chose, lui explique le beau-père joué par Chris Cooper, tu dois le démonter, puis le remonter ». Alors Jake démolit : un frigo, une machine expresso, les luminaires de ses beaux parents, sa propre maison. Dans l’espoir vain d’entrevoir le mécanisme intérieur… Voilà pour la métaphore Quinze Tonnes. Demolition donne souvent l’impression de tomber sur un film oublié d’une sélection Sundance des 90’s, mais Jean-Marc Vallée a le chic pour investir et complimenter ce genre de sujet casse-gueules. En trois films tournés sur trois ans (Dallas Buyer’s Club, Wild, celui-ci), il a définitivement trouvé son style : spirituel et lourdingue donc, mais « focus », énergique, musical, syncopé, libre, étonnement digeste. Le véritable patron, pourtant, est à l’image. Creusant son habituel registre somnambulo-sociopathe, Gylenhaal signe une autre performance « dingo ». Mais sous le coup de l’exubérance, de l’étrangeté gauche, occasionnellement hilarante : il joue un type qui ne peut simplement pas s’empêcher d’être honnête. Lui aussi « auteur » de trois films consécutifs qui lui doivent tout (Night Call, La Rage au ventre et celui-là), Jake s’est arrogé une position assez unique au cinéma : moteur, sujet, verbe, complément… Il a rejoint Brad Pitt dans le camp des stars qui forcent le passage et font marcher leur film au pas. A ce stade, on pourrait le regarder dans n’importe quoi.
Demolition de Jean-Marc Vallée avec Jake Gyllenhaal, Chris Cooper et Naomi Watts
The Witch
Wow. Juste Wow ! The Witch était précédé d’une réputation flatteuse depuis son passage à Sundance (prix de la mise en scène) mais on était loin de se douter du choc. Et si Ingmar Bergman réalisait un film sur la sorcellerie ? En Nouvelle Angleterre, au dix-septième siècle, une famille de colons puritains bannie de leur communauté s’installe à la lisière d’une forêt noire et épaisse. Quand le nouveau-né disparaît sous les yeux de la fille aînée, la paranoïa s’installe, le délire religieux grandit, et la sorcière des bois pousse l’endurance physique et spirituelle du clan jusqu’au point de rupture. Le film dépeint l’une des périodes les plus terrifiantes de l’histoire dans le cadre allégorique de la folktale, du conte primitif païen. Les chasses aux sorcières n’étaient que l’expression d’une peur irraisonnée de la sexualité féminine. Mais si les sorcières existaient vraiment, de quoi étaient-elles l’expression ? 90 minutes hors du temps, murmurées dans un vieil anglais bien flippant, d’une beauté picturale à couper le souffle… Son jeune réalisateur, Robert Eggers, travaille déjà à un remake de Nosferatu.
The Witch de Robert Eggers avec Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie
Hitchcock/Truffaut
Vous aussi, vous l’avez lu quand vous étiez petits ? David Fincher l’a reçu en cadeau de son papa quand il avait huit ans. Wes Anderson a tellement compulsé son exemplaire que la reliure a sauté et qu’il n’en reste que des pages volantes… Le critique américain Kent Jones a retrouvé l’enregistrement audio des sessions Hitch/Truffaut de 1966 (une semaine à Los Angeles dans les studios d’Universal, enfermés du matin au soir), et propose de prolonger la conversation au vingt-et-unième siècle. Fincher imagine Sueurs Froides du point de vue de Maddy, Scorsese admire la qualité « banale » des premières scènes de Janet Leigh dans Psychose, Assayas décrypte le plan aérien de la traînée de feu dans Les Oiseaux… Les plus grosses pointures d’aujourd’hui vous parlent de mise en scène à travers Hitch, et donc dialoguent avec Truffaut, avec des mots simples et une excitation juvénile tout à fait palpable. Un documentaire cinéphile au sens le moins pompeux (le plus fun) du terme.
Hitchcock/Truffaut de Kent Jones
A suivre…
The Wave, film catastrophe norvégien sur une vague géante qui engloutit un village touristique, plus proche de The Impossible que de San Andreas. Kill Your Friends, une satire mordante du music business avec Nicholas Hoult en néo-Patrick Bateman. Et les nouveaux films de Lucile Hadzihalilovic (Evolution) et Alex De La Iglesia (My great Night).
Benjamin Rozovas
Commentaires