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En France, Mike Nichols est connu pour être le réalisateur du Lauréat. Point. Et encore, la réussite du film ne lui est-elle pas toujours clairement attribuée. Les qualités du Lauréat ? Ce serait avant tout le talent du jeune Dustin Hoffman, la beauté de Katharine Ross, le(s) charme(s) toxique(s) de Mrs Robinson – le personnage joué par Anne Bancroft aussi bien que la chanson signée Simon & Garfunkel. D’ailleurs, ce ne serait pas plutôt eux, les grands artisans du film, le duo folk brun-blond de "Sound of Silence" ? Parce que bon, si c’était Mike Nichols, on aurait eu envie de voir ses autres films, non ?Cette perception est purement française. Ailleurs (aux Etats-Unis), c’est une autre histoire (du cinéma américain) qui s’écrit. Dans son pays, Mike Nichols est bien plus que l’auteur d’un seul film. Il est une référence, l’idole de la critique "pensante", le chaînon manquant entre les grands cinéastes sociologiques des années 50 (Billy Wilder, Vincente Minnelli) et la génération contemporaine des Alexander Payne, Noah Baumbach, Wes Anderson, Judd Apatow ou Jason Reitman. On se souvient d’une interview à propos de In the Air où ledit Reitman avait manqué défaillir quand on lui avait suggéré qu’il pourrait bien être le "nouveau Mike Nichols". On lui aurait dit qu’il était l’héritier de Stanley Kubrick ou le descendant direct de Charlie Chaplin, il aurait été moins flatté… Bref, dans son pays, Mike Nichols était jusqu’à hier un Dieu vivant. Il est toujours un Dieu aujourd’hui.Là-bas, il n’avait pas seulement fait un film célèbre. Il était déjà célèbrissime avant de le tourner, après s’être fait connaître au début des années 60 comme pionnier de la stand up comedy sur scène et sur disque, en duo avec sa comparse d’alors Elaine May. Elaine, oui, comme Miss Robinson junior… Devenu cinéaste, il était aussi canonisé pour Qui a peur de Virginia Woolf, Ce plaisir qu’on dit charnel, Catch 22 ou le Mystère Silkwood (moins pour son remake de la Cage aux folles, il est vrai), des films auxquels on reconnaîtra une certaine "qualité américaine" qui, comme la française, est aussi un défaut. Qu’il ait eu l’élégance de terminer par un bon Tom Hanks écrit par Aaron Sorkin (la Guerre selon Charlie Wilson, en 2007) lui aura permis d’accéder au statut envié de "vieux maître" et assuré que ses nécros ne finissent pas en eau de boudin (Primary Colors,Closer). Mais ne discutons pas ici de la réussite, réelle ou supposée, des autres films de Mike Nichols. Classique définitif, Le Lauréat nous suffit – nous sommes Français après tout. Il faut juste s’assurer que la pleine paternité lui en soit rendue. Oui, la dramédie américaine telle que nous la connaissons a été inventée par Mike Nichols ; les compiles de ballades acoustiques en bande son sur des scènes de "montage" ont été inventées par Mike Nichols ; l’accélération finale jusqu’à l’apothéose émotionnelle a été inventée par Mike Nichols. Personne d'autre. Il a créé le schéma, le template, le patron sur lequel ses suiveurs n’ont cessé de broder depuis. Mais il avait eu, lui, l’intelligence, l’élégance, le génie, même, de conclure son film sur un non-mariage, une irrésolution. Une immense majorité de ceux qui l’ont copié depuis ont fait mine d’oublier cette leçon, cherchant à reproduire Le Lauréat mais en le terminant à chaque fois par des noces, façon d’accréditer l’idée, puritaine, conservatrice, terrifiante, que c’est là que tout finit – et que tout doit finir. En 1967, Mike Nichols, lui, avait eu le splendide pressentiment que la fin (du film) n’était que le début de quelque chose d’autre, quelque chose d’inconnu, d’insensé, de suspendu.Ce n’est pas aujourd’hui qu’on le contredira.Guillaume Bonnet