Deux ans après The Master, l'acteur retrouve Paul Thomas Anderson. Rencontre.
Pour que vous, l’éternel vilain petit canard, jouiez un privé, figure quintessentielle du cinéma américain, il fallait au moins qu’il ait les cheveux longs, porte des sandales et fume de la beuh du matin au soir, c’est ça ?
Pas nécessairement, en fait. Vous savez, je n’ai rien contre les films de genre, rien contre les grosses productions, même. Tout personnage qui s’embarque pour un voyage intérieur m’intéresse. Pourquoi pas un détective ? Ce qui compte, c’est d’abord le réalisateur. Il faut qu’il ait une vision personnelle, un univers fort. Après, oui, il semblerait que cette recherche me mène plutôt vers des drames indé.
De fait, on a presque oublié que vous étiez dans Gladiator…
Vous voyez ? Mais Gladiator, c’était le meilleur des deux mondes : un gros film, par un grand réalisateur.
Mais ça vous intéresserait encore, aujourd’hui, un Gladiator ?
Du moment que le réalisateur est un bon…
Inherent Vice est le premier film tiré de l’œuvre de Thomas Pynchon, jusqu’ici réputée inadaptable. Vous connaissiez son travail ?
Non. Paul m’a filé le roman, avant même de finir son script. Là, j’ai fait comme tout le monde, je me suis demandé : « mais comment diable va-t-il filmer ça ? » Les personnages sont loufoques, barrés, bourrés de failles que j’ai adorées. Juste quand vous pensez les avoir cernés, un truc inattendu change votre regard sur eux. Ils sont pleins de contradictions, comme les gens dans la vie. Doc, mon personnage, est un type gentil, idéaliste. Mais il a ce vice, ce penchant pour la drogue
La drogue est-elle la pire invention humaine, ou la plus géniale ?
Ça dépend de qui en prend... Les Beatles ont écrit certaines de leurs meilleures chansons sous influence, c’est entendu. Mais qui oserait prétendre qu’ils n’étaient pas des putains de génies bien avant la dope ? La vérité, c’est qu’il y a tout un tas de moyens de modifier ses perceptions et d’accéder à de nouvelles idées ; la drogue, c’est juste le plus facile d’entre eux. Au bout du compte, il y a très de peu de gens que ça nourrit vraiment. Quand vous êtes jeune, passionné, vous ne voyez pas au-delà de la vingtaine, ou de la trentaine. Mais moi, je viens d’avoir quarante ans. Tout à coup, vous vous mettez à trouver de l’intérêt dans le fait de durer. Tout en poursuivant vos rêves, vous vous dites « Merde ! A tout prendre, je préfèrerais me consumer lentement, continuer à travailler et à faire ce que j’aime jusqu’au soir de ma vie, plutôt que d’exploser en vol. » Je viens de faire un film avec Woody Allen (Irrational Man, avec Emma Stone) Ce mec a 79 ans, et il est toujours à fond ! Et pas de drogue ! Voilà la carrière que je veux ! C’est étrange, parce que la drogue est tellement présente, particulièrement dans la musique, le rock et le rap. Mais si vous regardez de plus près, vous trouvez des gens comme Jay Z, qui ont transcendé le genre. Et il ne prend rien...
C’est quoi au juste, les autres moyens de changer ses perceptions ?
La méditation. Je m’y suis mis récemment. Ça marche, c’est prouvé, il y a des études scientifiques récentes qui en attestent. Même si tout ce que vous faites, le matin au réveil, c’est de fermer les yeux pendant vingt minutes et d’éteindre votre téléphone, eh bien c’est déjà quelque chose.
Vous trouvez ça difficile de couper les communications ?
Non. Mais c’est encore plus facile de ne pas le faire... Vous vous réveillez, il y a déjà un tas d’emails et de textos qui vous attendent, et vous vous mettez tout de suite à y répondre. Pure aliénation.
Une grande mélancolie sourd du film, qui se déroule au moment où la parenthèse enchantée des sixties vient de se refermer pour laisser place à la paranoïa de la fin des années Nixon. Avez-vous, comme Pynchon et P.T. Anderson, un sentiment de trahison vis-à-vis du sacrifice des idéaux hippies ?
Je ne sais pas, mec… Les évolutions, c’est un putain de truc bizarre. On ne sait pas. Parfois, les périodes les plus sombres nous mènent vers des moments lumineux. Mais peut-être aussi qu’on court à notre perte, et que le meilleur est derrière nous. Vaut sans doute mieux ne pas trop y penser.
Vous avez grandi en Californie, dans les années 70. Le monde que décrit le film, vous en avez une connaissance assez intime, non ?
Mmm, pas tant que ça, non. J’ai grandi dans la Vallée (la banlieue tentaculaire qui s’étend de l’autre côté des collines d’Hollywood.) Pas exactement le fief de la contreculture, là-bas...
La famille Phoenix a pourtant souvent été décrite comme une bande de hippies…
Je me souviens de ma mère qui partait le matin pour aller à NBC (l’une des plus grosses chaînes de télé US.) Croyez-moi, il n’y avait rien de moins hippie que de bosser chez NBC.
Que faisait-elle là-bas ?
Secrétaire. Bon, on était végétariens, c’est vrai. Et avec mes frères et sœurs, on portait des noms comme River ou Rain, pas Joe et Larry. Ça a suffi à faire de nous des hippies. Ma mère venait de la classe moyenne newyorkaise ; mon père, du milieu ouvrier californien. Je ne leur ai pas spécialement parlé pour préparer ce film. Mon souvenir le plus ancien, c’est de me rendre à des castings. Pas très contre-culture non plus.
Vous aviez quel âge ?
Sept, huit ans.
Avez-vous jamais envisagé une autre profession qu’acteur ?
Non. A l’âge de seize ans, j’ai dit à mes parents que j’arrêtais l’école. Ils ont tenté de m’en dissuader, mais j’ai dit : « Je vais jouer la comédie ». Je ne sais même pas pourquoi j’ai dit ça. Sûrement parce qu’il fallait bien que je leur donne une raison...
Propos recueillis par Olivier Bonnard
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