Pourquoi Donald Sutherland voulait absolument jouer le président Snow dans Hunger Games
Lionsgate

"Le pouvoir corrompt, et dans bien des cas, le pouvoir absolu peut réellement vous salir. Voyez Clinton, Chirac, Mao, Mitterrand..."
Voici une traduction de la lettre envoyée par l'acteur au réalisateur Gary Ross pour rejoindre la saga.

La disparition de Donald Sutherland attriste les cinéphiles, tant le comédien canadien a marqué le public avec ses rôles audacieux des années 1960 à 1990, des Douze Salopards à JFK en passant par M.A.S.H, Casanova ou L'Invasion des profanateurs. Pour la jeune génération, il restera aussi associé au personnage de dictateur au cœur de la saga Hunger Games, le président Coriolanus Snow.

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En 2014, au moment de la sortie du troisième opus de la saga au cinéma, Sutherland détaillait dans GQ n'avoir jamais passé d'audition pour ce rôle : c'est en envoyant une longue lettre au réalisateur du premier volet, Gary Ross, qu'il l'a convaincu de l'engager.

"Personne ne m'a demandé de le faire, racontait-il. En fait, on ne me l'a jamais proposé. J'aime lire des scénarios et celui-ci m'a passionné, alors je leur ai écrit une lettre. Ce rôle de président était tout petit au départ, il avait une ligne de dialogue dans le script. Peut-être deux. Cela ne faut aucune différence. J'ai pensé que ce film serait très important et que j'avais envie d'en faire partie. Je me disais que ça pouvait réveiller des électeurs, tous ces citoyens qui semblaient en sommeil depuis les années 1970. Je n'avais même pas lu les livres. Pour être parfaitement honnête, je ne connaissais pas leur existence, mais ils ont montré ma lettre au réalisateur, Gary Ross, et il a trouvé que ce serait une bonne idée de m'engager. Il a alors écrit ces scènes merveilleuses et poétiques dans le jardin de roses, et ils ont davantage exploré l'esprit de Coriolanus Snow."

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Deux ans plus tôt, cette même lettre était déjà dévoilée aux fans anglphones de Hunger Games, au sein des bonus DVD du premier opus. Un supplément intitulé Letters from the Rose Garden. Nous la traduisons ci-dessous, ainsi que la réaction du metteur en scène, également diffusée au sein de ces suppléments :

"C'est typiquement le genre de relation que vous rêvez d'avoir entre un acteur et son réalisateur, ce type d'échange. Avec Donald, ce fut une véritable collaboration : une personne propose des choses, l'autre les accepte, les extrapole, les transforme, soumet ses propres propositions à l'acteur avant qu'il ne tourne sa scène... C'est ainsi que la fabrication d'un film se fait pour le mieux."

Voici la lettre de Donald Sutherland, comédien engagé contre la guerre tout au long de sa vie, notamment contre le conflit du Vietnam.

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"Cher Gary Ross.

Le pouvoir. Qu'est-ce que c'est ? N'est-ce pas ? Le pouvoir et toutes ces forces qui sont manipulées par ces hommes puissants, par ces bureaucraties qui tentent de maintenir le contrôle et de toujours conserver ce pouvoir ?

Le pouvoir perpétue la guerre et l'oppression, il maintient ce poids bureaucratique en place, il se noie dans les pages de l'histoire (excepté au Texas), et nous laisse des leçons sur ce qui devrait être retenu ou non.

Le pouvoir corrompt, et dans bien des cas, le pouvoir absolu peut réellement vous salir. Voyez Clinton, Chirac, Mao, Mitterrand.

Je ne sais pas s'il en va de même avec Coriolanus Snow. Son obsession, sa passion, son jardin de roses... Vous savez qu'il y a une rose appelée Sterling Silver, qui a la couleur des lilas et ce parfum extraordinaire -vraiment incroyable- je l'adorais dans les années 1970 quand elle a été créée. Depuis, les botanistes l'ont déclinée sous de multiples formes.

Je ne voulais pas vous écrire avant d'avoir lu toute la trilogie, et maintenant que c'est chose faite : les roses sont d'une grande importance. Aux yeux de Coriolanus. Et dans son sourire. Ces trois éléments sont vibrants, vitaux pour Snow. Tout le reste, il le contient en restant parfaitement calme. Quel spectacle lui donne Katniss. Il la connaît tellement parfaitement. Il n'y a rien, absolument rien, qui puisse le surprendre. Il voit tout, et il comprend tout. C'est un homme qui fut probablement brillant, mais qui a succombé aux sirènes du pouvoir."

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Pourquoi Donald Sutherland voulait absolument jouer le président Snow dans Hunger Games
Lionsgate

"Comment pourriez-vous dramatiser le parcours narratif de Katniss, tout ce qui se passe dans sa tête et qui décrit en continu l'évolution de sa relation avec Snow ? Avec ce côté omniscient, il la connait si bien. Mais elle aussi, elle sait ce qu'il pense, et elle comprend qu'il sera prêt à tout pour maintenir son pouvoir, elle sent à quel point il est menaçant, et à quel point ce contrôle est fragile, également. Elle est plus dangereuse que Jeanne D'Arc.

Son monologue intérieur est vraiment ce qui définit Snow. C'est le grand tour des pièces de théâtre. Vous ne pouvez pas 'jouer' un roi, vous avez besoin de tous ces personnages autour pour dire au public des choses du genre : 'Voici le roi, regardez comme il bosse dur, comme il est maléfique, comme il est charmant, comme il aime son peuple, comme il le fait souffrir, comme il est brillant !' L'idée du roi, sa définition, la perception qu'en aura le public, tout cela est instillé par les observations d'autres personnages. Une fois cette idée établie, elle reste dans l'esprit du spectateur. Et dans le cas de Snow, cette définition vient de Katniss."

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"Le mal se voit à travers l'histoire de l'on raconte. Ce n'est pas seulement ce qu'on voit, c'est aussi ce qu'on nous demande de croire. C'est aussi simple que ça. Regardez le visage de Ted Bundy avant de savoir tous les crimes qu'il a commis, et regardez-le à nouveau après en avoir pris connaissance.

Snow n'a pas l'air méchant aux yeux du Capitole. Bundy n'avait pas l'air monstrueux du point de vue de ces filles. Avec ma femme, on était en vacances dans le Colorado quand il s'est échappé de prison. La radio était en boucle à son sujet : 'Ne prenez aucun jeune homme en stop. Cet évadé a l'air d'être le jeune homme le plus doux du monde.' Le maléfice de Snow, il prend forme dans sa confiance constante, cet élément est toujours présent dans son regard. Dans son calme absolu, aussi. Avez-vous vu ce film que j'ai fait il y a quelques années ? L'Arme à l'oeil (1981). Ce personnage avait ce truc que je vois en Snow.

Je me souviens de cette femme qui vivait en face de chez nous à Brentwood, qui est venue interpeller mon épouse quand elle emmenait nos enfants à l'école. Avec son mari, ils avaient vu ce film la veille au soir et elle voulait savoir comme ma femme pouvait rester avec un homme comme moi, quelqu'un qui était capable de jouer un être aussi maléfique. Cela m'a amusé, je l'ai raconté durant quelques dîners, mais ça a marqué mon épouse.

J'aimerais parler de tout cela avec vous, quand vous le souhaitez, pour qu'on soit sur la même longueur d'ondes.

Tous ces hommes ont fini de la même façon. Bienvenue en Floride, passez un bon séjour !"

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