La sitcom culte tient une place cruciale dans Le Monde après nous, sur Netflix. Le créateur et réalisateur nous explique ce qui se cache derrière ce fil rouge pop et pourquoi la résurgence de la série a aussi quelque chose d'inquiétant.
Même 20 ans après sa conclusion, Friends reste une valeur refuge. La série préférée de millions de gens à travers le monde et de millions d'abonnés à Netflix, qui regardent les épisodes en boucle sur la plateforme... Justement, Netflix accueille aujourd'hui dans son catalogue Le Monde après nous, un film apocalyptique où Friends tient une place étonnamment prépondérante. Attention spoilers !
Dans la famille de Julia Roberts, la petite Rose (jouée par Farrah Mackenzie) découvre la série. Elle a tout juste une dizaine d'années et elle fait connaissance avec la bande du Central Perk pour la première fois. Elle dévore leurs histoires sur sa tablette, avec une voracité mise à mal, lorsque le monde s'effondre, qu'Internet est coupé et qu'il est désormais impossible de voir Friends en ligne. Cruel car, Rose était arrivé au final ! Et le visionnage impossible du dernier épisode de Friends devient ainsi le fil rouge assez dément du film de Sam Esmail. Le réalisateur s'explique pour Première :
"On se raccroche tous à quelque chose en temps de crise. Chacun a son truc différent pour surmonter le chaos. Et dans la narration télévisuelle, on trouve de quoi oublier ce chaos, de quoi s'évader. Mais c'est aussi une forme d'espoir, un moyen d'exorciser la crise et la noirceur."
Friends comme antidote aux idées noires, c'était une évidence. Mais ce qui marque, c'est la transmission de génération. "Dans notre histoire, Rose est le plus jeune personnage. Elle représente la nouvelle génération. Et c'est elle qui sonne l'alerte, qui essaye d'alerter les adultes, qui voit les conséquences pour son futur avant eux. Mais les adultes n'ont de cesse de l'ignorer. Alors elle trouve du réconfort dans Friends."
Mais pourquoi Friends ? Pourquoi pas Seinfeld ou Les Simpson ou une autre série culte euphorisante ? Sam Esmail nous explique que la sitcom new-yorkaise a quelque chose "d'iconique très international. Ça parle à tout le monde et la série connaît une telle résurgence aujourd'hui, sur les plateformes, que c'est devenu une œuvre trans-générationnelle, une sorte de conte universel sur l'amour, sur l'espoir, sur les relations aux autres."
Plus encore, le cinéaste a vu dans le générique de Friends, le fameux "I'll be there for You", un écho aux thématiques du Monde après nous, qui parlent de solidarité humaine, quand tout s'écroule autour : "Cela me paraissait parfaitement adapté à notre film. C'est tout le sens derrière le film. Est-que vous serez là pour les autres ?
Ceci étant dit, Sam Esmail ne se contente pas d'utiliser Friends comme un trait d'union entre nous et eux. Il décortique aussi le phénomène derrière la sitcom, son aura démentielle, 20 ans après. Une autopsie en bonne et due forme d'une passion populaire certainement excessive, qui pousse carrément l'un de ses personnages à résumer de manière cinglante à mi-parcours : "Friends nous ramène à une nostalgie qui n'a jamais existé !" Une réplique pleine de sens selon Esmail :
"Je crois qu'il y a quelque chose de dangereux dans cet échappatoire qu'on cherche avec les séries comme Friends", nous explique le créateur d'origine égyptienne. "J'ai grandi dans une famille musulmane dans le New Jersey et je regardais en même temps plein de sitcoms américaines, avec de jolis arbres de Noël et du bacon grillé et toutes ces choses auxquelles moi, je n'avais pas droit à la maison. J'enviais ça. Ca semblait tellement joyeux et solaire, sur le petit écran, que j'étais jaloux de ne pas avoir ça. Je croyais que c'était comme ça que vivaient les autres familles américaines de ma ville. Et puis en grandissant, je me suis rendu compte que cela n'était pas du tout une réalité. Que c'était une sorte de fantasme pour elles aussi. Ce qui est dangereux, c'est quand les gens regardent la télé et qu'ils se remémorent le bon vieux temps, une époque passée qui n'existerait plus. Que ce soit devant Happy Days à un moment ou devant Friends aujourd'hui. Sauf qu'on est totalement dans l'imaginaire collectif. On confond la réalité avec une fantaisie."
Cela ne veut pas dire que Sam Esmail déteste Friends. "Je crois que tout le monde adore Friends" répond le réalisateur. "C'est un phénomène global. Et d'une certaine manière, je fais partie du monde..."
Pour autant, il n'avait pas vraiment perçu le paradoxe méta de son film : si Rose a vu l'intégralité de Friends, elle a aussi vu Julia Roberts (qui joue sa mère) apparaître dans deux épisodes ! "C'est tout à fait vrai. Mais bon, c'est Amanda Sanford qui est l'héroïne du film et Julia Roberts est l'actrice qui joue dans Friends. Ce sont deux personnes différentes !"
Le Monde après nous, de Sam Esmail, à voir sur Netflix depuis le 8 décembre 2023.
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