Open bar pour la caméra de Stéphane Meunier dans les coulisses de la Coupe du monde 98. On y voit les massages, les vestiaires, les petites angoisses, les grandes douleurs, l’esprit d’équipe et de corps qui finit par gagner le pays tout entier, avec Zinedine Zidane en star récalcitrante, Aimé Jacquet en coach – Schtroumpf? – à lunettes et le constat, renversant à chaque vision, que cette équipe a vraiment gagné, ce qu’un cinéaste de fiction n’aurait jamais osé imaginer. Ce n’est pas un vrai film? Soyons sport et reconnaissons que c’est encore mieux.
Pour gagner le cœur de Miss Italie, Totò (le De Funès italien avec une barbiche) vend son âme au Diable, qui lui donne le pouvoir d’être imbattable sur un vélo. Alors il fait le Giro (le Tour d’Italie) et massacre tous les plus grands coureurs de l’époque classique (Fausto Coppi, Gino Bartali, Louison Bobet, ravis d’être là) en sifflotant ou en fumant le cigare sur sa bicyclette. Le vélo, les belles femmes, les champions d’un autre temps: ce film capte une certaine idée poé- tique de la sociologie populaire dans l’Italie de l’immédiat après-guerre.
Los Angeles, début des années 90. Sous les panneaux, le ghetto et ses paris de basket à couteaux tirés. Le blanc-bec, là, joué par Woody Harrelson avec sa casquette retournée, tous les géants black du coin ne demandent qu’à le plumer, sans se douter qu’ils ont affaire à un vrai crack, qui s’est juste gouré de couleur de peau. Le film d’arnaque – et de tchatche – est fantastique (notamment grâce au duo Harrelson/Wesley Snipes). Le film de sport (les matchs et tournois eux-mêmes), irrésistible. Surtout, fait quasi unique, Les blancs ne savent pas sauter ramène le sport dans son environnement naturel: la rue, cet endroit dont par dé- finition, les champions – et les autres films du genre – tentent de s’échapper.
Sans doute le film de sport le plus aimé du XXIe siècle, classique instantané pour cause d’Aaron Sorkin au script (sur la vague The Social Network) et de Brad Pitt mangeant des donuts devant la caméra. Derrière, c’est le sévère Bennett Miller qui filme verdâtre, sans pom-pom girls ni embrassades au coup de sifflet final. Le Stratège n’est pas un film de terrain mais un film de bureau, là où les équipes de base-ball se pensent, se négocient, se pèsent et où les statistiques prennent peu à peu le pas sur le facteur humain. À la fin, le héros est seul dans les tribunes vides. Trois ans plus tard, Miller fera plus blafard encore, avec les lutteurs de Foxcatcher. Les films de sport doivent forcément être feel-good ?
Un sacré beau titre qui dit bien la nature pluvieuse et déprimante de cette fable sociale en noir et blanc. La vie est une course de fond que les classes dirigeantes demandent aux pauvres lads de courir à leur place, pour le prestige de leurs institutions. La ligne d’arrivée en vue, le héros prolo Tom Courtenay est rattrapé par sa conscience de classe et envoie tout le monde se faire foutre, un sourire libératoire sur le visage. La métaphore est d’une légèreté relative, mais dans l’Angleterre pré-Beatles de 1962, il fallait au moins ça pour enfoncer le clou là où ça faisait du bien.
Denzel Washington incarne le coach Boone, entraîneur black d’une équipe lycéenne qui termina invaincue en 1971 en parvenant à dépasser les frictions raciales qui la déchiraient. Jerry Bruckheimer prouve ici que sa passion des rassemblements d’hommes pour une « greater cause » est autant soluble dans le film de sport que dans le film d’armée, sa spécialité. Du reste, Denzel aurait presque l’air de confondre les deux genres, à force de passer ses troupes en revue comme un capitaine d’infanterie. La visite de l’équipe au cimetière de Gettysburg (« écoutons la leçon des morts! ») achève de cristalliser le projet d’un film qui n’a ni peur ni honte de chercher à faire gonfler les poitrines et dresser les petits cheveux à l’arrière de la nuque.
La vie, c’est pas une boîte de chocolats mais une partie de water-polo, dans une piscine matricielle où il s’agit de marquer des buts et de faire les comptes à la fin, en même temps que l’inventaire du communisme italien et des engagements de jeunesse. On n’est pas loin du Sautet des Choses de la vie, la conscience politique et les accroches visuelles (la balle jaune, les bonnets de bain bleus et rouges) en plus. À la fin, Nanni tire son penalty « trop à gauche », son équipe perd et une époque s’achève. Le film de sport comme métaphore de la vie, en version auteur à l’européenne.
Dans les petites stations d’Europe, entre France, Suisse et Autriche, là où se joue la Coupe du monde de ski, l’équipe de descente des USA est rejointe par le jeune Robert Redford, décidé à jouer sa carte individuelle, sans faire la moindre concession aux bonnes manières, à la camaraderie ou à l’état d’esprit collectif voulu par le coach (Gene Hackman). Redford déconstruit l’image archétypique du héros américain, ce winner qui ne pense qu’à sa belle gueule et à son destin de champion. « Des champions ? Le monde en est plein », dira le père fermier, peu impressionné.
D’un cynisme crapuleux (les scènes des dirigeants) et d’un humanisme total (celles avec des joueurs), L’Enfer du dimanche est porté par la transe cocaïnée d’Oliver Stone, qui invente au passage le « style Greengrass », trois ans avant un autre Sunday, Bloody de son prénom. Ce n’est pas un film sobre, ni dans son style convulsif, ni dans le jeu de Pacino (qui n’a clairement pas passé de test antidopage non plus), ni dans la dramaturgie démultipliée de son match final où chaque personnage a son instant de gloire galvanisant, faisant de L’Enfer du dimanche une sorte d’Apollo 13 du film de football US.
Également (plus) connu sous son titre original The Karate Kid, c’est l’histoire d’un gamin italo-américain qui devra apprendre à faire la grue sur un pied en nettoyant des voitures et en repeignant des façades pour réussir à battre un vilain blondinet en finale d’un championnat de karaté, grâce à un vieux prof japonais plein de bonne sagesse et de sévérité humaniste. Si vous n’avez pas compris la phrase qui précède, c’est que vous n’avez jamais vu Karate Kid, le film « inspirant » qui fait que John G. Avildsen, l’immortel auteur de Rocky, n’est pas le génie d’un seul film (de sport) mais de deux.
1966, le temps des grandes coprods internationales avec des casts pas possibles et des moyens colossaux. Cast pas possible ? Grand Prix vous donne James Garner, Yves Montand, Eva Marie Saint, Françoise Hardy et Toshirô Mifune. Peu connu, peu aimé, le film est pourtant un triomphe visuel et technique stupéfiant, avec les plus grandes scènes de courses jamais tournées (y compris depuis), un montage d’une virtuosité expérimentale inégalée et un romantisme bouleversant, sur des hommes ballotés entre deux grands prix et donc incapables de stabiliser leur vie personnelle, qui ne tient qu’à un essieu mal serré ou à un virage mal négocié. Sans doute le film qui réussit avec le plus d’éclat à visualiser un sport, capter son environnement et représenter ses enjeux symboliques.
Chaque sport US a son film de référence. Pour le hockey, ça se joue entre le très digne Miracle (mené par Kurt Russell) et le très dépenaillé Slap Shot, merveilleusement « VF-isé » en La Castagne, film qui scande la culture provinciale et gentiment plouc du sport roi au Canada, ses bastons dantesques (comme des bagarres de saloon dans un vieux western), sa vulgarité crasse, ses dérapages verbaux, ses provocs à tous les étages. Au milieu, Paul Newman, impeccable en entraîneur-joueur aux cheveux gris, et les frères Hanson, trois rednecks à lunettes qui font tous les coups fourrés que ce jeu (ne) permet (pas).
Parmi toutes les définitions possibles du film de sport, retenons celle-ci : il faut que les enjeux dramatiques et thématiques puissent être ramenés au terrain ou entiè- rement symbolisés par lui. Alors, Jusqu’au bout du rêve devient une sorte de film de sport absolu, l’histoire d’un fermier frappé par une vision : il doit construire un terrain de base-ball dans son champ pour faire revenir des vieilles stars du jeu, apparaissant batte en main, telles les forces protectrices bienveillantes de la culture US. C’est très guimauve, à l’image du jeu idéalement flasque de Kevin Costner, star de film de sport s’il en fût, dont ce Jusqu’au bout du rêve est l’ultime chant d’amour.
Pour ceux qui se demandent d’où vient le titre, il s’agit d’un extrait d’un poème de William Blake, transformé en un chant patriotique vantant la mystique héroïque de l’Empire britannique, donc souvent transposé dans la geste sportive. On le chantait aussi dans La Solitude du coureur de fond – pour mieux le contester. Ici, on est dans l’exaltation pure, les maillots blancs des athlètes de Sa Majesté partant au ralenti à l’assaut des JO de 1924 à Paris, sous les synthés de la BO signée Vangelis. Le film qui a le mieux (le plus) cerné les enjeux du sport comme vecteur du destin des hommes et des Nations.
S’il doit y avoir un modèle de "film de coach", Le Grand Défi est un candidat naturel, surtout quand Gene Hackman, cuir sur le dos, choisit comme assistant un autre alcolo lessivé, joué par Dennis Hopper. Il y a tout dans ce film, la dramatique si particulière du basket (les lancers francs, le ballon qui rebondit sur le cercle, les tirs au buzzer), la petite ville qui ne plaisante pas avec l’équipe de son lycée et le style cabochard de l’entraîneur, qui sait se faire haïr pour mieux souder l’équipe et être finalement enseveli sous un torrent d’amour. Le plus étudié (y compris par les managers d’entreprises) et le plus aimé de tous les films de sport aux États-Unis.
Au confluent du grand n’importe quoi et du génie débridé, se niche ce monument de nonsens kung-fu auquel le soccer, notre bon vieux football, va donner un semblant de règles et de cadres (le terrain, les cages) pour mieux les faire exploser – littéralement – à grands coups de flammes infernales, de jongles breakdance, d’effets spéciaux à la The Mask et de Bruce Lee gardien de but. Un film fou, hélas rendu assez incompréhensible dans son (dé)montage US. Tout film de kung-fu avec vieux maître plus ou moins sage, entraînement plus ou moins codifié et combat final plus ou moins violent est, par principe, un film de sport. Mais jamais autant qu’ici.
Si la série est un tube de Bon Jovi, le film est du Springsteen période Nebraska, le portrait d’une (petite) ville où le football américain est pire qu’une religion, un fanatisme, et où la tradition se transmet de père en fils comme une menace et une malédiction. La nouvelle génération sera-t-elle à la hauteur de la précédente ? Le coach finira-t-il en un seul morceau? Soumis à une pression terrifiante, ces gosses réussiront-ils à devenir des hommes ? Le film de sport collectif a rarement atteint un tel équilibre et à la fois une telle démesure, où le terrain devient une question de survie.
On a beaucoup dit que derrière le film de bagnoles chromées se cache en réalité un voyage dans une petite Amérique en voie de disparition. Mais l’inverse est tout aussi vrai : derrière l’americana nostalgique, se révèle (quand même !) un film de bagnoles chromées d’autant plus extraordinaire qu’il prend le temps de se ressourcer au plus profond de la culture US pour y retrouver son (supplément d’) âme. La course finale est le bijou suprême du genre, l’instant où les valeurs américaines éternelles (au premier rang desquelles la "transmission", jeu de mots dont procède le film tout entier) s’assemblent en un climax émotionnel fabuleux : l’accident du vieux King, Flash qui choisit de lui porter secours pour qu’il puisse "terminer sa dernière course", et voilà comment la défaite noble l’emporte par K.-O. sur la victoire à deux balles.
C’est aussi parce qu’il perd à la fin que Rocky est un film de sport parfait, la seule histoire d’underdog qui va jusqu’au bout de l’idée selon laquelle c’est l’effort qui prime, le fameux "j’ai donné le meilleur de moimême et c’est tout ce qui compte". Le génie de Stallone et Avildsen est de ne pas le faire de manière crépusculaire mais dans l’allégresse de la musique de Bill Conti, des supporters qui envahissent le ring et des "Adriaaane" hurlés à pleins poumons. Ce n’est pas un hasard si la scène d’entraînement demeure encore plus mythique, la statue grandeur nature de Stallone, à droite des escaliers de Philadelphie – rebaptisés les "Rocky Steps" –, faisant foi.
L’histoire du film de sport est un long bras de fer contre le réel, qui génère chaque semaine son lot de dramaturgies épiques, de suspenses irrespirables, de destins hors normes et d’histoires à raconter aux enfants. Les trois quarts au moins des films de cette liste sont ainsi "inspirés" de faits réels et de fait, rien n’a jamais été vu sur un écran de cinéma qui dépasse en vertige émotionnel et en décharge charismatique la puissance iconique des images du "rumble in the Jungle" au Zaïre, le fameux match Ali/ Foreman, son K.-O. au huitième round, son public en transe, sa symbolique black power. Lorsque cinq ans après When We Were Kings, Michael Mann a tourné son biopic sur Ali, on a pu vérifier sur pièce qu’il y a des combats que le cinéma de fiction ne peut juste pas gagner.
Jeu, set et match.
On doit au sport nombre de "films d'hommes", de fables sociologiques et de chroniques existentielles sur l'individu et le collectif. L'actu (Borg/McEnroe et Battle of the Sexes) n'empêche pas le tennis d'être absent de ce Top 20 des meilleurs films de sport, néanmoins certifié rempli d'émotions fortes, de symbolique rassembleuse et de gens qui se tombent dans les bras en tribunes.
Un top à retrouver dans le dernier numéro du Première, avec Hugh Jackman en couverture.
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