Dans une belle note d'intentions, le cinéaste détaille comment il a construit ce film unique durant quarante ans, réunissant de multiples références, des plus classiques aux plus modernes.
Jusqu’à récemment, tout ce qu’on savait sur le Megalopolis de Francis Ford Coppola, c’est qu’il s’agissait d’une "œuvre épique parlant d’ambitions politiques, de génie et d’amour dangereux". Puis il y a eu l'annonce de la présentation du film à Cannes, en compétition, et maintenant, la publication d’une image inédite du film qui sortira en France distribué par Le Pacte.
On y voit Adam Driver (Caesar dans le film) regarder au travers d’une longue-vue, tandis que derrière lui, Nathalie Emmanuel (Julia Cicero) se tient devant une étendue de grattes-ciel.
Une image donnée en exclusivité à Vanity Fair, et accompagnée d’une note manuscrite du réalisateur qui, toujours en deuil (son épouse étant décédée au début du mois), n’a pas souhaité prendre la parole publiquement. Ce que l’on peut prendre pour un simple commentaire constitue en réalité la bible de Megalopolis, dans laquelle Francis Ford Coppola fait l’inventaire des inspirations et références qui infusent son dernier film.
En découvrant l’image, certains y ont vu une convocation de la SF “sauce Wachowski”, Cloud Atlas et Jupiter Ascending en tête. Pourtant, les racines de ce projet, que Coppola a muri pendant près de la moitié de sa vie, sont plus profondes que cela.
Megalopolis raconte l’histoire d’un architecte, Caesar, et de sa vision utopique de New-York, qu’il veut remodeler comme il l’entend. Face à lui, Frank Cicero, maire conservateur de la ville, qui souhaite qu’elle reste comme elle est.
"Les graines de Megalopolis ont été plantées lorsque, enfant, j'ai vu Les Mondes futurs de H.G. Wells, écrit le réalisateur dans son communiqué. Ce classique des années 1930 de Korda traite de la construction du monde de demain et m'a toujours accompagné, d'abord en tant que 'jeune amoureux des sciences' que j'étais, puis en tant que cinéaste.”
Dystopie sortie en 1936, Les Mondes perdus raconte le renouveau de l’humanité décimé par un conflit global, puis par une épidémie de peste, et qui, en 2036, a fini par se reconstruire, plus belle et florissante que jamais. Une référence littéraire et cinématographique à laquelle s’en ajoute une historique : la Conjuration de Catilina. En 63 av. J.-C., Lucius Sergius Catilina, un patricien, tente de prendre le pouvoir à Rome. Selon lui, la République romaine, mise à mal par des troubles politiques, doit être refondée ; Rome, brûlée puis reconstruite.
Cannes 2024 : Pourquoi le retour de Francis Ford Coppola en compétition est un événement“L'Amérique moderne est le pendant historique de la Rome antique, explique le cinéaste, et la Conjuration de Catilina, telle que racontée par l'historien Salluste, aurait pu se dérouler dans l'Amérique moderne.”
Un épisode historique dont Francis Ford Coppola s’est donc librement inspiré, transposant ses personnages dans le monde moderne.
Première image officielle de Megalopolis, le nouveau film de Francis Ford Coppola"J'ai commencé par l'essence d'une intrigue : Peut-être qu'un patricien maléfique (Catiline) a comploté pour renverser la république, mais il a été contrecarré par Cicéron, le consul. J'ai rebaptisé Catiline en César [...]. Je me suis demandé si la représentation traditionnelle de Catilina comme le 'mal' et de Cicéron comme le 'bien' était nécessairement vraie."
Il fallait un décor d’ampleur pour cette fresque colossale. L’attention de Coppola s’est portée sur la ville de New-York, dont il fait, dans son film, le centre culturel, architectural, historique et symbolique du monde :
"L'histoire se déroulerait dans un New York quelque peu stylisé, présenté comme le centre du pouvoir mondial, et Cicéron serait le maire à une époque de grands bouleversements financiers, comme la crise financière sous l'ancien maire Dinkins [qui a dirigé la ville de 1990 à 1993]. César, à son tour, sera un maître d'œuvre, un grand architecte, un designer et un scientifique combinant des éléments de Robert Moses, tel qu'il est décrit dans la brillante biographie The Power Broker, avec des architectes comme Frank Lloyd Wright, Raymond Loewy, Norman Bel Geddes, ou Walter Gropius".
"Pas à pas, avec ces débuts, j'ai recherché les cas les plus intéressants de la ville de New York dans mes albums : l'affaire du meurtre de Claus von Bülow, le scandale Mary Cunningham-William Agee Bendix, l'émergence de Maria Bartiromo (une belle journaliste financière surnommée ‘The Money Honey’, venant du parquet de la Bourse de New York), les frasques du Studio 54, et la crise financière de la ville elle-même (sauvée par Felix Rohatyn), afin que tout dans mon histoire soit vraie et se passe soit dans le New York d'aujourd'hui, soit dans la Rome antique. J'ai ajouté à cela tout ce que j'avais lu ou appris sur le sujet".
Une œuvre-somme, touffue, donc, et qui, avant même son visionnage, impressionne par son réseau de références. Pourtant, à la fin de sa note, le réalisateur ajoute une liste de quarante-trois noms, de Voltaire à Pirandello, en passant par Spinoza, Fellini, Murnau, Dickens et Mizoguchi.
Ce qui ne l’empêche pas de faire de ce film son gros-oeuvre. Francis Ford Coppola explique avec humilité que pour Le Parrain ou Dracula, il avait mis un point d’honneur à mentionner les artistes à l’origine des oeuvres qui l’inspiraient (“Bram's Stoker's Dracula" peut-on lire sur l’affiche de son film de 1992, par exemple). Le cinéaste raconte qu’avant même d’avoir écrit le scénario, il savait que cette histoire lui appartiendrait totalement :
"Très tôt, je me souviens d'avoir pris 130 pages vierges et d'avoir mis une page de titre annonçant en gras ‘Megalopolis de Francis Ford Coppola’ et, en dessous, ‘All Roads Lead to Rome’ (‘Tous les chemins mènent à Rome’). J'ai fait comme si la page n'était pas totalement blanche, je l'ai pesée dans mes mains pour pouvoir imaginer à quoi cela ressemblerait un jour, et croire qu'un jour cela pourrait exister. Plus tard, une fois que j'ai eu un brouillon, j'ai dû le réécrire 300 fois, en espérant que chaque réécriture l'améliorerait, ne serait-ce que d'un demi pour cent.”
Car en effet, la route vers Rome n’a pas été sans heurts. Cinéaste total, Coppola n’a pas accepté de compromis, et a dû vendre une part importante de ses vignobles californien pour avancer les 120 millions de dollars nécessaires à la réalisation de Megalopolis, à laquelle il pense depuis quatre décennies.
"Je ne travaillais pas vraiment sur ce scénario depuis quarante ans, comme je le vois souvent écrit, mais je rassemblais plutôt des notes et des coupures de presse pour un album de souvenirs de choses que je trouvais intéressantes pour un futur scénario, ou des exemples de caricatures politiques ou de différents sujets historiques, raconte-t-il. [...] De plus, comme j'ai réalisé de nombreux films sur des sujets et dans des styles très différents, j'espérais pouvoir réaliser un projet plus tard dans ma vie, lorsque j'aurais mieux compris quel était mon style personnel".
C’est en 2001 que le réalisateur lance véritablement Megalopolis, neuf ans après la sortie de L’Idéaliste, porté par Matt Damon. Il ouvre un bureau de production, commence le casting, les lectures de scénario, choisit un directeur de la photographie, Ron Fricke, décide de tourner une partie des plans avec une caméra numérique Sony… Lorsqu’une catastrophe mondiale vient mettre à mal la production :
Adam Driver ne tarit pas d'éloges envers Francis Ford Coppola : "J'ai adoré le processus de Megalopolis""Le scénario a toujours comporté l'élément d'un satellite soviétique vieillissant tombant de son orbite et s'écrasant sur la Terre, explique-t-il. Nous avions donc besoin de plans de destruction et de zones déblayées, mais bien sûr, personne n'aurait pu anticiper les événements du 11 septembre 2001 et la tragédie du World Trade Center. Comme nous tournions avec notre deuxième unité à l'époque, nous avons couvert certaines de ces images déchirantes.”
Megalopolis représente donc une Amérique moderne, bien que fictionnalisée, avec ses fractures, ses blessures, ses deuils. C’est un film honnête, humble et sincère que Francis Ford Coppola souhaite donner à voir. Comme il le conclut :
"Mon premier objectif est toujours de faire un film avec tout mon cœur, et j'ai donc commencé à réaliser qu'il s'agirait d'un film sur l'amour et la loyauté dans tous les aspects de la vie humaine. Megalopolis fait écho à ces sentiments (l'amour est exprimé dans une complexité presque cristalline, notre planète en danger et notre famille humaine presque dans un acte de suicide) jusqu'à devenir un film très optimiste qui a foi en l'être humain pour posséder le génie de guérir n'importe quel problème qui se présente à nous."
S’il l’on sait que le film a trouvé un distributeur français (Le Pacte) et sortira donc bien en salles chez nous, on ne connaît pas encore sa date de diffusion. Avant cela, Megalopolis sera présenté en compétition au Festival de Cannes en mai. La sélection cannoise sera à découvrir, décryptée, dans le prochain numéro de Première, disponible dans les kiosques à la mi-mai.
Ça y est, Megalopolis a un distributeur : le film de Francis Ford Coppola sortira bien au cinéma en France
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