Exodus sera diffusé ce soir sur M6.
A 21h, la sixième chaîne diffusera le dernier peplum de Ridley Scott, Exodus : Gods and Kings. A sa sortie, fin 2014, nous avions rencontré le cinéaste.
En regardant votre filmo, on peut dégager un motif…
Tu veux dire qu’on peut voir que j’aime les films historiques ?
Je veux dire que c’est souvent des histoires de tueurs. D’affrontement guerrier, de conquête.
Mmm. Peut-être. Non. Enfin, oui. Dans toutes les histoires y a toujours un protagoniste et un antagoniste. C’est le moteur principal.
Et ce dès Les Duellistes, votre premier long.
Les Duellistes était une nouvelle de Joseph Conrad, à l’origine c’était un roman mais il ne l’a jamais terminé. Trente ans plus tard, Exodus c’est une échelle et un traitement du matériau complètement différents. Déjà c’est un boulot de commande. On m’a passé le projet et je ne l’ai pas adapté comme j’ai pu le faire avec Les Duellistes : c’est un film que j’ai fait comme un western.
En parlant de western, le plan d’ouverture d’Exodus rappelle ceux qui ouvrent et ferment La Prisonnière du désert de John Ford.
Techniquement, c’est génial, c’est un des plus grands westerns. C’est là où Ford utilise l’espace au mieux. C’est là où John Wayne dit à une femme « on se voit dans un an » ? C’est génial, ça permet d’un coup de saisir l’immensité dans laquelle se trouvent les personnages. Mais je trouve qu’il y a de grosses inexactitudes comme la présence des Indiens dans le désert, alors qu’ils vivaient dans les plaines.
Le coeur de l’histoire d’Exodus reste l’affrontement entre Moïse et Ramsès.
Le film parle de religion et de politique. Moïse est un prince d’Egypte - pas par le sang mais par la naissance -, un chef militaire. C’est Steven Zaillian qui a fait partir le projet dans la direction que je lui indiquais. Du réalisme.
Exodus : Gods and Kings est un grand spectacle total et osé [critique]
Vous ne vous êtes pas senti prisonnier du sujet, forcément sensible quand on touche à la Bible ?
Il y a toujours une marge d’interprétation dans une adaptation. La Bible est née d’une réécriture constante, avec des ajouts et des retraits permanents. C’est pour ça qu’il faut de la foi.
Certains ont reproché quand même à Exodus son whitewashing - faire jouer des personnages égyptiens par des Blancs. Vous en pensez quoi ?
Je leur dis « Get a job. Get a fucking life ». Non, mais sérieusement ? Il faut d’abord voir la performance des acteurs avant de parler. Je ne permets à personne de dire que le film est raciste. Le film a un casting international. Espagnols, iraniens, irakiens… En plus, qui peut dire à quoi ressemble un Egyptien d’il y a 5000 ans ? Non, le vrai danger c’est d’être trop biblique dans les dialogues. « Thou » et « Thee », ce genre de choses. On ne s’est pas pris la tête. On a utilisé le bon vieil anglais. Comme dans Un homme pour l’éternité (Fred Zinneman, 1966) qui se déroule au 16ème siècle, ma référence.
Combien de temps dure Exodus ?
J’ai une limite de 2h32. Pourquoi vous me demandez ça ?
Parce que je regardais le director’s cut de Kingdom of Heaven, qui est quand même vachement mieux que la version en salles.
Ah oui, Kingdom dure 3h17 en version longue. J’ai pu rajouter toute l’histoire du personnage d’Eva Green. Je n’aurais jamais dû la laisser tomber. Notamment la scène où elle verse du poison dans l’oreille de son fils, l’une des plus émouvantes du film… Mais il était déjà trop long. C’était ma décision. Kingdom était un gros, gros film. Le danger sur le montage de ce genre de trucs c’est de se lasser. Toujours les mêmes scènes, encore et encore… A force de répéter la blague elle n’est plus drôle. On se retrouve à couper à mort, beaucoup. Même si je trouve que les bons films durent longtemps. Pas en termes de durée de projection mais de temps diégétique. Il faut voir les personnages vieillir, changer. C’est pour ça que les films d’Orson Welles, David Lean et Terrence Malick ne vieilliront pas. ils prennent leur temps. Ils embrassent la durée.
Et vous trouvez que vos films vieillissent bien ?
Ahah, oui. Je regardais Les Duellistes et je trouve qu’il a vachement bien résisté au temps. Il y a mon plan préféré de ma carrière dans le film…
Lequel ?
Quand Harvey Keitel se tient au sommet d’une colline et ressemble à Napoléon. Ca a été dur à faire, Harvey n’aimait pas les hauteurs, on a dû trimballer tout le matos là-haut et il faisait un vrai temps de merde. Cinquante jours de pluie non-stop, en Dordogne ? ou en Sologne ? Je ne sais plus. Mais je me rappelle que le maire du bled se méfiait, il pensait qu’on tournait un porno.
Vous avez le director’s cut sur Exodus ?
Mmmm. Il n'a pas vraiment été question de director’s cut car je ne me dispute pas vraiment avec les studios en général. Et eux non plus. Si ça arrive, on en discute et je sais comment gérer ça, comment couper pour être plus efficace et rendre les patrons heureux. Après tout je viens de la pub.
La version longue de Gladiator était beaucoup moins bonne.
C’est vrai. La version cinéma était juste parfaite.
Pourquoi l’avoir faite alors ?
Oh, c’est simple. Le studio voulait voir une version longue en DVD. Alors on l’a fait, on a rajouté des scènes qui n’étaient pas nécessaires.
Et Cartel était meilleur en version longue.
Très sous-estimé, celui-là. Très très sous-estimé. C’est une exception : plus il est long plus il est bon. Le dialogue du film est parfait.
Sur le commentaire audio du Blu-ray de Cartel, vous disiez que pour une fois les critiques avaient raison…
Oui. Pour une fois. (rires)
Comment vous analysez son échec en salles ?
Le film était trop violent, en fait. Il raconte le pressentiment d’un événement extrêmement violent. C’était aussi trop subtil. La scène où Fassbender reçoit le DVD, à la fin… On s’attendait à autre chose de la part d’un cinéaste aussi premier degré que moi. C’est moins un thriller qu’un film noir, très noir, parfaitement nihiliste. Je crois que le public ne peut pas, ne peut plus, encaisser le nihilisme. Il préfère regarder Big Brother.
C’est sûr qu’Exodus n’a pas l’air très nihiliste.
C’est encore mieux : dans le film Moïse commence agnostique, presqu’athée. Il ne croit pas aux dieux, il refuse le pouvoir des prêtres et leur prétendue magie.
Vos films parlent aussi de la relation au mythe. La création dans Blade Runner, dans Prometheus, la terre promise dans 1492…
C’est parce que je viens du Nord de l’Angleterre. Je cherche toujours une autre dimension aux choses. J’ai commencé par écrire mes propres trucs car les scénarios ne tombaient pas du ciel, et c’est devenu partie de mon processus de création avec mes scénaristes. Toujours aller au-delà.
Au fond, c’est Robin des bois qui illustre le mieux cette dialectique avec le mythe…
Tout à fait. C’est un film d’aventures, mais qui raconte en même temps la fondation de l’habeas corpus et celle de la légende d’un hors-la-loi. C’est plus explicite que Thelma et Louise. Pour moi, Thelma et Louise, c’est l’Odyssée. Personne ne s’en est rendu compte.
Et que raconte Exodus sur le mythe ?
Qu’il faut faire très attention avec ce sujet. Adapter la Bible c’est traverser un champ de mines. Moïse est l’un des personnages les plus importants de la Bible. Moïse, bien sûr, a existé. J’en suis convaincu. Les dieux égyptiens faisaient partie de la propagande d’état, pour que l’on prenne Pharaon pour Dieu.
Les films de Ridley Scott sont-ils meilleurs en version longue ?
Justement, vos films sont athées.
Plutôt agnostiques. Dans Kingdom of Heaven, la question n’est pas de savoir qui avait raison dans les Croisades. Le personnage important c’était Saladin. Mais le public américain de l’époque n’a pas supporté qu’un leader musulman soit représenté comme un brave type.
Il paraît qu’on devait voir la création de Jésus par les aliens dans le prologue de Prometheus.
Non, non, non. Complètement faux. C’est une légende.
Comment vous jugez le film, maintenant ?
Prometheus était une sorte d’essai. Une réflexion sur nos origines. Qui nous a créés ? Une force supérieure ? C’est l’idée de toutes les religions. Qui est le boss ? C’est sûr, il y a quelque chose de plus grand. Mais la vérité m’importe peu. Pour moi c’est la fin c’est celle de 2001. Rencontrer enfin son créateur, la force supérieure. Mais cette vision nous rendra fou, alors elle est présentée sous une forme acceptable. Dans un espace blanc, avec du mobilier Louis XV.
2001, c’est le modèle de The Martian ? un trip de SF psyché ?
Oui et non. Sur le plan technologique, on a la même exigence de réalisme. Je bosse en ce moment avec des types de la NASA, l’un d’entre eux m’a dit qu’il est persuadé qu’avant sa mort on aura rencontré une vie extra-terrestre. Sur Mars, il y ces glaciers énormes, composés d’eau pure, qui pourraient abriter de la vie. Dans un milliard d’années, la Terre pourra ressembler à Mars. On peut imaginer qu’il y avait de la vie avant. The Martian est le survival ultime. Robinson Crusoé sur Mars. C’est de la science-fiction mais tout le film est hyper plausible en termes d’équipement. Par exemple le héros fait pousser des patates en mélangeant la terre martienne avec les excréments de l’équipage.
C’est une belle métaphore de l’histoire humaine.
Pas faux.
Interview Sylvestre Picard
Exodus - Gods and Kings de Ridley Scott avec Christian Bale, Joel Edgerton, John Turturro, Aaron Paul :
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