Un grand polar de l'auteur de L'Inspecteur Harry débarque dans une superbe édition Blu-ray.
Réalisé deux ans après L’Inspecteur Harry, Tuez Charley Varrick ! (disponible dès à présent en Blu-ray chez Wild Side, avec un gros livre de 200 pages et des bonus à gogo) produit la même déflagration que les polars urbains de Don Siegel. Même feeling anar, même portrait d’un solitaire en quête d’éthique, même haine pour les grandes organisations et les machines sociales… Tout est là. Pourtant en deux ans, tout a changé. Vétéran du cinéma d’action hollywoodien des 50s, ce grand cinéaste oublié connaît son heure de gloire avec L'Inspecteur Harry, qui sous ses allures de série B cachait un brûlot anar où toute forme d'autorité était au mieux bafouée, au pire anéantie. Deux ans plus tard, il reprend ces ficelles en adaptant un roman génial de John Reese qui mélangeait les genres – western, film de mafia et revenge movie. Pourtant, ceux qui avaient trouvé Harry et Un Shériff à New-York pro-flic seront surpris de voir que le héros de Charley Varrick est un petit malfrat déterminé qui tue sans remords, pille les banques et couche avec les filles qu’il croise. Accompagné de deux complices, Varrick, ancien aviateur acrobate, s’en prend à la banque d’une petite ville du Nouveau Mexique. Ses complices sont tués lors du braquage et il découvre vite que l’argent dérobé est de l’argent sale qui appartient à la Mafia. Petit artisan (« le dernier des indépendants » proclame le blason de son entreprise d’épandage), Varrick va tout faire pour s’en sortir sain et sauf.
Swing et timing
Plusieurs idées concourent à faire de cette petite série B un chef-d’œuvre caché. D’abord son rythme, faussement nonchalant. Sous les apparences trompeuses d’un récit relâché, le film raconte comment Varrick tente d’échapper à la police et à un tueur à gage (formidable Joe Don Baker dans un prototype de Javier Bardem dans No Country for Old Men). Pour réussir, Varrick doit organiser sa disparition… C’est la deuxième clé du film, l’incroyable flair de Siegel pour ses castings. En choisissant après Eastwood Walter Matthau comme nouveau dibbouk, il prend un acteur surtout connu pour ses rôles dans les vaudevilles de Wilder. Matthau est un technicien au timing impeccable qui joue ici de toutes les nuances de gris. Personnage âgé et parfaitement inhumain, il a un air de Pierrot lunaire, Droopy embarqué dans une histoire qui le dépasse mais qu’il va constamment retourner à son avantage. On sait que Don Siegel pensait à un autre comédien avant Matthau. Ce dernier fut d’ailleurs plus que réticent avant d’accepter le rôle. Il détestait tellement le script qu’il avait envoyé une cassette reprenant le scénario point par point. Réponse de Siegel : « M. Matthau, ce serait un plaisir de vous diriger, mais pour ce qui est des scripts et de vos idées, laissez-moi vous dire que vous avez des goûts de chiotte. » Quoiqu’il en soit, Matthau swingue comme le film et comme la musique de Lalo Schifrin qui l’accompagne et le façonne entièrement. Sous sa classe et son flegme, c'est la mélancolie d'un renoncement existentiel qui domine finalement ce grand polar. Il faut voir l’hommage final à La Mort aux trousses, scène apocalyptique qui laisse le héros aussi vide qu’un pantin, condamné à se perdre dans une errance sans fin. Dépossédé de son identité et désespérément seul, sa mort symbolique est une mise en abyme de la carrière de Siegel qui n’allait plus beaucoup tourner après ça. Dépassé par le Nouvel Hollywood, après Le Dernier des géants avec John Wayne, le dernier des indépendants allait tirer sa révérence.
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