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L’arrivée au festival de Venise est une expérience particulière et sans équivalent. Les festivités ont lieu sur le Lido, une sorte de presqu’île détachée du monde réel, et pour y accéder, il faut prendre un bateau. Même en empruntant le trajet le plus rapide (une demi-heure), on passe à côté de villas sublimes construites sur des îles de rêve, et le plaisir des yeux est tel qu’on oublie tout le stress précédent. En même temps, cette atmosphère de raffinement suprême et décadent incite à en profiter comme si c’était la dernière fois. La menace d’engloutissement plane toujours sur la cité des doges, tout comme le doute plane sur la pérennité du plus vieux des festivals de cinéma, qui fête son 69ème anniversaire. La menace la plus proche vient du concurrent immédiat, le festival de Rome, dont Marco Muller vient de prendre la direction, après avoir passé 4 ans à la tête de la Mostra.

Sous la houlette du nouveau directeur artistique Alberto Barbera, (de retour après avoir été viré par Berlusconi en 2001), le cru 2012 est marqué par une sélection plus rigoureuse (seulement 18 titres en compétition), et la participation d’auteurs prestigieux : Paul Thomas Anderson présente The master, Terrence Malick To the wonder.

 

 

 

Mercredi, le festival ouvrait avec The Reluctant Fundamentalist de la réalisatrice Mira Nair, qui adapte un roman racontant la crise d’identité culturelle et spirituelle d’un jeune Pakistanais après le 11 septembre. D’après les rumeurs, le film souffre d’un excès de bonnes intentions.

 

 

 

Pas le temps pour moi de le rattraper. Je prends la sélection en marche avec Paradise: faith de Ulrich seidl. Il s’agit de la seconde partie de sa trilogie commencée (à Cannes) avec Paradis: amour. Même sujet: une femme en recherche. Cette fois, il s’agit de la soeur de l'héroïne du précédent film. Alors que la première cherchait à combler le manque d’amour en payant des Africains pour coucher avec elle, la seconde compense ses frustrations par une pratique extrême de la foi (prosélytisme improbable, autoflagellation, utilisation excessive des crucifix). Au bout d’une heure de film, on apprend que ce comportement est apparu après l’accident qui a rendu son mari paraplégique. Seidl utilise une technique particulière qui consiste à enregistrer des séquences improvisées. L’absence totale de narration et le rythme extrêmement lent font du film une épreuve, d'autant que le traitement du sujet (qui en lui-même ne manque pas d’intérêt) est assez ambigu: comme dans son précédent film, Seidl a toujours la déplaisante habitude de mettre ses personnages dans des situations humiliantes et ridicules, ce qui ne manque jamais de provoquer dans la salle un concert de ricanements déplacés.

 

 

 

 

 

The Iceman, d’Ariel Vroman, évoque l’histoire vraie de Richard Kuklinski , tueur à gages et père de famille appelé “l’homme de glace” à cause de sa capacité à rester insensible dans des situations tendues . Il a dû exécuter une centaine de personnes avant d’être deux fois condamné à vie. En prison, il a eu le temps d’enregister des interviews (disponibles sur DVD) avant de mourir dans des conditions suspectes (comme par hasard, il était sur le point de témoigner contre un ancient employeur). Le personnage est joué par Michael Shannon et le film est un catalogue de tout ce qu’il sait faire : regard noir, murmure menaçant, explosions de violence, destruction d’équipement domestique, du froid au chaud en un battement de cil… Comme l’action couvre une vingtaine d’années à partir du début des années 60, l’acteur porte une panoplie variée de postiches, perruques et ornements pileux de toutes tailles dont la vision procure un plaisir sans fin. La meilleure réussite du film est dans son casting, qui donne l’occasion à Winona Ryder de rappeler qu’elle est plus que capable de reprendre la tête de l’affiche. On peut avoir des doutes sur les effets de style, notamment la curieuse bouillie sonore qui rend difficilement compréhensibles les dialogues, peut-être pour cacher la banalité d’une biographie qui repose sur la seule idée de l’association du feu et de la glace.