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Dick Wolf et Frank Spotnitz nous parlent de leur quotidien et décryptent leur job, à la base de toutes les séries que vous regardez.

Que fait concrètement un créateur de série ? Comment travaille un showrunner ? Et un producteur ? Dick Wolf, 69 ans, et Frank Spotnitz, 56 ans, ont une certaine expérience en la matière. Depuis plusieurs décennies, ils nourrissent le petit écran américain d'une foultitude de shows. Le premier est carrément l'un des créateurs les plus prolifiques de la télé US. On lui doit notamment la franchise Law & Order (New York Section Criminelle, Unité Spéciale...) et la grande saga Chicago, qui cartonne actuellement sur NBC (avec Chicago Fire, Chicago PD, Chicago Med...). Le second est le scénariste principal de X-Files, celui qui a créé la mythologie du show avec Chris Carter. Il fut aussi showrunner de la série Le Transporteur, de Crossing Lines, producteur de Strike Back et plus récemment créateur de The Man in the High Castle, l'adaptation de Philip K. Dick pour Amazon.

Vous ne connaissez peut-être pas leurs noms. Pourtant, ce sont eux qui imaginent et écrivent les histoires que vous suivez chaque semaine. A l'occasion du 56e Festival de la télévision de Monte Carlo, nous avons pu discuter avec eux de leur quotidien, au cœur d'une production et de ce métier un peu à part, aux origines des séries.

On vous connaît en tant que "créateur", grâce à Law & Order. Et maintenant, avec la franchise Chicago. Mais créateur de série, ça correspond à quoi ?
Dick Wolf : Je dirais qu'on m'accorde bien trop de crédit sur toutes ces séries (il rigole). Mais en même temps, c'est moi qui vais cristalliser tous les reproches, si ça se plante. À ce niveau dans ma carrière, je dirais que je suis un peu le pompier de service. Je m'en mêle uniquement, si les choses ne marchent pas parfaitement. Dans une franchise comme Chicago, où 4 shows se recoupent, si quelque chose ne marche pas parfaitement, tout peut s'effondrer. Je suis un peu le dernier maillon de la chaîne. Je ne vais quasiment jamais sur les plateaux de tournage. Si j'y vais, c'est que quelque chose ne va pas.

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Parlez-nous du processus créatif. Comment vous est venue l'idée de créer Chicago Fire, puis Chicago PD et Chicago Med, par exemple ?
D.W. : Avec Chicago, je voulais faire quelque chose qui n'avait jamais été fait, avec des personnages qui apparaissent et qui existent dans différents shows, qui se croisent. Tom Fontana et moi, on a plus ou moins inventé le concept des crossovers, il y a 25 ans. On a croisé Homicide et Law & Order, et ça a donné les plus grosses audiences de l'histoire de ces deux séries. C'est là qu'on s'est rendu compte que les crossovers, ça pouvait vraiment être très efficace, pour attirer de nouveaux téléspectateurs. Alors ensuite, j'ai choisi la ville de Chicago, parce que c'est le coeur de l'Amérique. C'est une ville du Midwest qui représente très bien les valeurs profondes des Américains. Les Américains d'ailleurs, ont très bien compris pourquoi on a planté le décor dans cette ville.

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Frank, vous, avez plutôt l'habitude de porter la casquette de showrunner. C'est quoi ce job exactement ?
Frank Spotnitz : Tout repose en fait sur un système de collaboration... La plupart des séries US ont ce qu'on appelle un showrunner. C'est un terme que je n'aime pas trop, mais ça s'appelle comme ça. Le showrunner, c'est un auteur / producteur, le leader créatif du show. C'est lui (ou elle) qui a le dernier mot, au bout du compte. C'est lui qui décide du script, du casting, des lieux de tournage, du budget, du montage, des effets spéciaux, de la musique... De TOUT ! Mais cela reste une vision. Et si ça marche - quand ça marche bien évidemment - c'est qu'il y a eu d'abord un travail collaboratif. C'est lui qui décide, mais après avoir pris l'avis des réalisateurs, des production designers, des acteurs, et le plus important, à mon sens, l'avis de la "writer room" (la salle où se réunissent les scénaristes d'une série).

Comment on fait pour écrire une histoire à plusieurs mains, tout en restant cohérent ? C'est compliqué de garder une ligne narrative non ?
F.S. : C'est l'une des raisons pour lesquelles la télé américaine va si vite, tout en restant de qualité. Il y a un pôle d'auteurs qui collaborent sur toute la série. Par exemple, pour X-Files, on faisait 24 épisodes par an. C'est impossible à faire. Impossible pour une seule personne d'écrire 24 heures de télévision en une saison. Alors on avait 6 auteurs différents, qui travaillaient ensemble, qui écrivaient des histoires ensemble, qui s'entre-aidaient.  C'est un peu comme une usine, mais dans le bon sens du terme. On avait un système clair. Avec de petits cartons qu'on accrochait sur un tableau. Chaque carton représentait une scène. On défrichait au maximum et ensuite on en discutait, les autres auteurs aidaient pour finir l'histoire, apporter de nouvelles idées. Et on avait fini, quand tout le monde était d'accord pour dire que c'était la meilleure version possible de l'épisode.

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Concrètement, au quotidien, vous faites quoi ? Vous travaillez comment pour sortir une série ?
D.W. : Je n'écris plus de scénarios d'épisodes en tant que tels. Je continue de coucher quelques histoires sur le papier, et de temps en temps, je suis crédité pour l'histoire d'un épisode ("Story by"), mais c'est rare. En revanche, c'est moi qui ai le dernier mot en ce qui concerne le casting. Après l'écriture, c'est le truc le plus important dans mon job.

F.S. : Généralement, je trouve d'abord des gens vraiment talentueux, qui ont une super idée ou une vision, et ensuite, j'apporte mon soutien à leur travail. C'est pour ça que j'ai une société de production (Big Light Productions Ltd). Tout ne repose pas que sur moi. Je suis d'abord et avant tout un producteur. Et ensuite je suis un auteur. Mais si les scénaristes d'une série que je produis sont en galère, alors je peux intervenir, filer un coup de main. Parce que je suis aussi scénariste. Je suis un peu une sorte de "garantie qualité". Au fur et mesure de notre collaboration, ma relation avec les auteurs s’approfondit, s'améliore. Tout devient plus facile. Aujourd'hui, je bosse même avec des gens en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne... En fait, je crois que j'ai le tempérament idéal pour faire ce job !