Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
DOULEUR ET GLOIRE ★★★★☆
De Pedro Almodovar (sortie le 17 mai)
L’essentiel
Peut-on rester toujours le même, doit-on se réinventer, est-il permis de vieillir quand on est Pedro Almodóvar ?
Ce type aura 70 ans dans quelques mois. Le moment de se poser des questions, de regarder derrière soi comme on prend sa respiration. Le vingt-deuxième film de Pedro Almodóvar commence au fond de la piscine. En apnée. Tenir. Tenir. Tenir. Et enfin, tout laisser remonter à la surface. Être ou ne pas être Almodóvar, telle est la question. On ne le présente plus, avec sa bille de clown, ses cheveux en pétard, ses couleurs criardes, ses femmes en colère, en détresse, trop maquillées, trop belles, trop femmes, et les types flamboyants qui essaient de tenir l’écran face à elles. Depuis près de trente ans, il signe ses films « Almodóvar », sans prénom. Personne n’a osé ça avant lui. Ni Kubrick, ni Hitchcock, ni Godard (du moins en le systématisant).
Guillaume Bonnet
PREMIÈRE A ADORÉ
MEURS, MONSTRE, MEURS ★★★★☆
D’Alejandro Fadel
Pourquoi un film aussi auteurisant, sec et radical porte-t-il ce titre aussi nanar ? C’est la première énigme du film. Mais voilà, Meurs, monstre, meurs est le titre original (Die, Monster, Die !) du Messager du diable(1965). Une série Z accablante avec un Boris Karloff littéralement sinistre, quatre ans avant sa mort, qui adapte de très loin la nouvelle La Couleur tombée du ciel de H. P. Lovecraft. Et alors ? Et alors, ce texte semble avoir fourni littéralement la matière de ce Meurs, monstre, meurs qui nous intéresse.
Sylvestre Picard
PASSION★★★★☆
De Ryusuke Hamaguchi
Ryusuke Hamaguchi est un cinéaste japonais de 40 ans tout rond. Il y a un peu plus d’un an, rares étaient les cinéphiles à connaître son nom. Puis il y a eu l’emprise de Senses, œuvre fleuve de cinq heures autour de quatre jeunes femmes dans la tourmente. Dans la foulée, le sensible Asako I & II, présenté en compétition à Cannes, venait enfoncer le clou d’un cinéaste très vite décoré d’influences plus ou moins revendiquées : Kiyoshi Kurosawa pour le fantastique doux, Rohmer et sa vitalité intellectuelle et enfin Ozu, parce qu’aussi sûr qu’un jeune auteur suédois doit se réclamer de Bergman, un Nippon débutant doit forcément avoir le goût du saké ! Passion vient presque remettre les choses à l’endroit, et permettre une émancipation possible. Car si Senseset Asakoavaient des racines, elles se trouvaient dans ce film de fin d’études que le cinéaste a tourné en 2008 et qui sort en salles onze ans après. On suit quelques heures de la vie de trois trentenaires en pleine crise des sentiments. Tout est déjà là : la force d’une mise en scène dont la précision aussi invisible qu’implacable empêche les personnages de se dérober (dans la dernière partie, un plan séquence de onze minutes est déjà à ranger sur les étagères !), une interprétation sans apprêt au charme évident et un scénario ludique qui épuise chaque situation pour mieux la renverser ou éprouver la solidité des émotions qui s’y rattachent. Bref, c’est un complet ravissement. Hamaguchi a 40 ans et donc toute une œuvre à venir. Joie cinéphile !
Thomas Baurez
PREMIÈRE A AIMÉ
SÉDUIS-MOI SI TU PEUX ! ★★★☆☆
De Jonathan Levine
Le pitch évoque les comédies qu’usinaient Judd Apatow et ses disciples à la fin des années 2000 : un journaliste grande gueule et fumeur de joints (Seth Rogen) se retrouve à écrire les discours de la secrétaire d’État aux affaires étrangères, bien placée dans la course à la présidence, et qui se trouve accessoirement être son ancienne baby-sitter.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
JUST CHARLIE★★☆☆☆
De Rebekah Fortune
Charlie est un excellent joueur de foot, promis à un avenir radieux : devenir professionnel. Il est encouragé dans cette voie par son père qui n’a pas pu réaliser son rêve. Mais l’adolescent est en proie à une crise d’identité : il ne se reconnaît pas dans son corps de jeune homme. À l’image de Girlde Lukas Dhont, sorti l’an dernier, Just Charlie traite de la dysphorie de genre. Ici, la différence réside dans le fait que Charlie veut être une fille, mais qu’il continue à aimer faire des trucs de garçon. Ce premier film, réalisé par Rebekah Fortune, lauréate du prix du public du festival d’Édimbourg, n’évite pas les maladresses (la scène d’aveu à la grand-mère) et passe par des péripéties attendues (la rupture avec le père qui se sent trahi par le choix de son fils). Mais la performance bouleversante du jeune Harry Gilby fait oublier quelques-uns de ces (nombreux) défauts.
Sophie Benamon
HARD PAINT ★★☆☆☆
De Marcio Reolon & Filipe Matzembacher
Pedro fait des shows devant sa webcam pour des internautes avertis. Le corps enduit de peintures réagissant à la lumière bleue, il vivote de cet exhibitionnisme tarifé qu’il pratique pour survivre et donner un sens à sa vie, rendue compliquée par son exclusion de l’université pour des faits graves... Déjà dans Beira-Mar ou l’âge des premières fois, leur premier film, Marcio Reolon et Filipe Matzembacher auscultaient le mal-être de personnages adolescents en quête d’identité sexuelle et familiale. Déjà, ils multipliaient les plans-séquences interminables et les regards perdus dans le vague lourdement signifiants. Si Hard Paintse révèle finalement plus convaincant, c’est par sa peinture d’un Brésil faussement cool et ouvert qui laisse peu de marges de manœuvre aux exclus du système.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
THE DEAD DON'T DIE ★☆☆☆☆
De Jim Jarmusch
Le sous-genre "comédie zombie" est clairement dépassé depuis une demi-douzaine d’années, mais on était quand même curieux de voir ce qu’il pouvait donner aux mains de Jim Jarmusch – le réalisateur aux cheveux argentés, après tout, a passé sa vie à filmer des morts-vivants, de l’apparition spectrale d’Elvis dans Mystery Train à l’errance de Johnny Depp dans l’Ouest terminal du bien-nommé Dead Man. Mais The Dead don’t die (beau titre, qui prend une résonnance symbolique en ouverture d’un Festival de Cannes septuagénaire qui entend prouver sa vitalité et son mordant à l’ère de Netflix et Game of Thrones) déçoit méchamment.
Frédéric Foubert
PERMANENT GREEN LIGHT ☆☆☆☆☆
De Zac Farley & Dennis Cooper
L’image est neutre, tout comme les jeunes acteurs, impassibles et austères. Bressonien au sens le plus radical du terme, Permanent Green Lightraconte le désenchantement de la génération Z (regroupant les jeunes nés à partir de 2000), agitée par des pulsions suicidaires qui se traduisent chez certains, comme ici, par des envies d’en finir sur le modèle des kamikazes islamistes. « Je voudrais que cette explosion et ce qu’elle laisse derrière elle soient si incroyables que les gens se diront, “merci à celui qui a fait ça, qui qu’il soit” » (sic), ânonne le héros blafard. Le film est à l’image de cette réplique approximative : d’un sérieux papal et d’un comique involontaire comme dans cette scène où le désespoir ambiant s’incarne dans la destruction d’une piñata...
Christophe Narbonne
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