Née en 1894 en Pennsylvanie, Martha Graham n'a pas seulement consacré sa vie à la danse : elle l'a révolutionnée - c'est à propos d'elle qu'a été employé, en 1926, le terme de "Modern Dance" - et s'est imposée comme l'une de ses plus grandes figures, occultant même le rôle joué par d'autres pionnières comme Ruth Saint Denis, Doris Humphrey, Hanya Holm... Dans les années 1910, c'est un spectacle de Ruth Saint Denis, réunissant The Cobras, Yogi, Radha et Egypta qui confirme à Martha Graham sa vocation de danseuse. Elle a 22 ans lorsqu'elle s'inscrit à la Denishawn School - contraction de Ruth Saint Denis et Ted Shawn - en 1916. Et si elle s'adapte parfaitement à l'exigence spirituelle de cet enseignement, influencé en partie par la danse orientale, elle acquierera aussi très vite son indépendance. En 1923, "Tragica", son premier récital dépourvue de tout accompagnement musical, est encore crée sous l'égide de Ruth St Denis. Mais bientôt, Graham rejettera l'exotisme de son professeur, préférant emprunter aux cultures du monde des éléments plus techniques que décoratifs : des positions accroupies ou agenouillées. "Ruth Saint Denis a ouvert pour moi une porte que j'ai franchi", explique-t-elle. Révoltée et spirituelle Interprète remarquable, Martha Graham révèle très vite d'excellentes dispositions pour la chorégraphie. En 1929, avec Heretic, chorégraphie pour un groupe de femmes, elle chamboule le paysage de la danse. Les douze danseuses portent des robes sombres, qui ne laissent appraître que les visages, les mains et les pieds nus. Vêtue de blanc, Martha Graham tient le rôle d'une rebelle rejetée par la société. L'année suivante, elle présente le solo Lamentation, considéré aujourd'hui comme la pierre angulaire de la modern dance : tête et bras enveloppés dans un tissu élastique, elle y danse la détresse d'une femme. Le solo est réglé sur une pièce pour piano de Zoltan Kodaly, compositeur hongrois de son époque. Martha Graham utilise en effet des musiques "contemporaines" : claude debussy, Scriabine, maurice ravel, erik satie, ermanno wolf-ferrari, paul hindemith, arthur honegger, sergueï prokofiev, sur lesquels elle règle des chorégraphies où transparait, souvent, une bouleversante quête de spiritualité. Les pièces qui suivront Lamentation, comme Primitive mysteries (1931), Frenetic Rythms (1933) et El Penitente (1940) en sont de bons exemples. Fascinée par la psychanalyse jungienne, Martha Graham cherche à retranscrire les errances de l'esprit et du coeur, et à explorer ce qu'elle appelle les "sombres prairies de l'âme". Dans les années 40, elle proposera un cycle grec, inspiré par le tragique de l'existence humaine, avec notamment Errand into the Maze et Night Journey (1947), dans lequel le personnage mythologique de Jocaste revit son destin. La danse comme nécessitéEn plus d'imposer une scénographie tridimensionnelle, loin des cadres traditionnels, Martha Graham renouvelle également les costumes de scène, qu'elle dessine elle-même. Ses danseuses sont souvent couvertes par des robes austères, mais les hommes - intégrés à la compagnie à partir de 1938 - plus dénudés, révèlent des corps athlétiques (Merce Cunningham ou Erick Hawkins en feront partie). La chorégraphe souhaite en effet valoriser l'effort, et charger le mouvement de force dramatique. "La danse ne doit pas être qu'un art, c'est-à-dire un mensonge imaginaire, ou un beau rêve oublié, elle doit être un acte, une participation à la vie et une nécessité", affirme-t-elle. L'énergie du danseur doit être concentré dans la colonne vertébrale, considérée comme un "arbre de vie". Le mouvement part du centre du corps, autour du plexus solaire, et la respiration tient une place des plus importantes : à la technique Graham on associe le couplé inspiration-expiration ou contraction-détente, largement repris par les chorégraphes et danseurs qui suivront. Loin du ballet, les enchaînements de Graham sont fluides et continus, intègrent des chutes et spirales, des passages au sol. Ses classes de danse s'ouvrent d'ailleurs toujours pas un travail au sol. Longtemps et pour toujoursChorégraphe innovatrice mais aussi danseuse exceptionnelle, Martha Graham a aussi, en 53 années de pratique, marqué la scène avec ses interprétations, comme dans Appalachian Spring (1944) ou dans Clytemnestra (1958) où elle incarne une figure castratrice. Poursuivant sa passion jusqu'à 90 ans passés, Martha Graham est devenu une véritable icône de la modern dance et s'est vue remettre de nombreuses distinctions, comme la médaille de la liberté, ou les insignes de commandant des arts et des lettres. De nombreux chorégraphes mondialement reconnus, entrés à leur tour dans la légende, ont revendiqué l'influence de cette chorégraphe sur leur travail, comme Merce Cunningham, qui fut son élève, ou Maurice Béjart, qui fut son fervent admirateur. Après la mort de Martha Graham à l'âge de 96 ans, en 1991, la Martha Graham Dance Company, basée à New York, continue à se produire, promouvant, comme le voulait sa fondatrice, une danse qui serait "l'expression de l'âme". Source : Jean-Pierre Pastori, "La danse, des ballets russes à l'avant-garde", Gallimard.
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