The Dark Knight Rises
Warner Bros

Le critique de cinéma Timothée Gérardin, auteur d'un livre sur Christopher Nolan, livre à Première les obsessions du cinéaste.

En attendant les Oscars 2024, dont Oppenheimer est le grand favori, TMC rediffuse en ce moment les films du réalisateur Christopher Nolan. Une semaine après Batman Begins, place à The Dark Knight (2008), l'un de ses plus gros succès, à la fois critique et public.

En 2020, pour préparer la sortie de Tenet, du même créateur, nous avions parlé de la filmographie de Chris Nolan avec Timothée Gérardin, auteur d'un livre de référence sur ce cinéaste. Nous repartageons cette interview à l'occasion de cette rediffusion.

Comment avez-vous eu l’envie d’écrire sur Christopher Nolan ?

Il y a toujours eu pour moi une frustration à voir que Christopher Nolan était apprécié de beaucoup de monde mais que pour autant peu d’études lui étaient consacrées. J’écrivais depuis longtemps des petits bouts d’articles sur ses films et je voyais revenir certains motifs. Je voulais montrer à travers mon livre qu’il y avait une vision cohérente d’auteur, à travers un style de mise en scène, d’écriture, de montage, dans l’ensemble de ses films.

Quelle idée force dégagez-vous de son cinéma ?

Ce qui est frappant d’abord c’est sa vision subjective du temps qui épouse celle de son protagoniste. Pour lui, l’être humain a un rapport incomplet au temps. C’est pour ça qu’il en fait une matière élastique. Mais plus encore, cette distorsion du temps vient du fait que les personnages principaux sont affectés par une pathologie. Dans Memento, il aborde la question de l’amnésie ; dans Insomnia, l’insomnie. Dans les Batman, il s’agit d’un trauma enfantin. Cette pathologie est utilisée pour construire le principe esthétique du film. De là, va s’opérer une fragmentation du temps. Ces fragments auxquels a accès le spectateur ne feront sens que sur la durée du film, comme un puzzle. Dans Inception, c’est la perte de l’être aimé qui va provoquer le comportement de Cobb. On a aussi des personnages en deuil… En gros, il y a toujours cette idée que l’expérience intime a une conséquence sur l’accès au monde. C’est flagrant dans Interstellar où la chambre d’enfant a un impact sur l’ensemble de l’univers. Tout le nœud de l’intrigue va consister à savoir comment retrouver la cohérence du monde. Le réel est devenu une utopie.

Comment se situe la trilogie Batman dans son univers ?

C’est un vrai point de bascule esthétique. D’abord, la trilogie Batman lui a donné accès à Hollywood. Il a réalisé Batman Begins juste après Insomnia. Mais c’est véritablement avec The Dark Knight : Le Chevalier noir qu’il adopte un style proche de celui qu’il a aujourd’hui. On y trouve notamment des scènes en montage alterné très brillantes. En changeant d’échelle de réalisation avec de plus gros projets, il a aussi changé de point de vue. Il s’est mis à avoir beaucoup de plans surplombant, aériens qui ont modifié son rapport au temps. La trilogie Batman a aussi une dimension politique où chacun des méchants de Batman représente un danger pour la démocratie : l’anarchie, le fascisme, la justice sauvage. La question de l’ordre est très importante pour Nolan. Ce qu’on voit dans ces films, c’est que sa peur ultime c’est le chaos.

Avec les Batman, il va encore évoluer dans son rapport au temps…

Nolan, en adoptant un point de vue omniscient, va inscrire des récits dans un schéma narratif encore plus vaste où les espaces-temps vont se mêler. C’est justement grâce à un système de sonar qui lui permet de voir tout ce qui se passe dans la ville que Batman va retrouver le Joker. Inception, Interstellar vont se faire imbriquer l’infiniment grand et l’infiniment petit. Il utilise beaucoup le montage parallèle pour faire progresser des histoires à des échelles différentes. Avec Dunkerque, film historique sur la guerre, il va encore plus loin et se livre à une expérimentation pure et dure sur le temps où il analyse la répercussion d’un instant. Là, il n’y a plus de fil narratif mais une distorsion du temps assumée. La « pédagogie » des précédents films a disparu.

Comment analysez-vous sa trajectoire ?

L’évolution est impressionnante. Il est parti de Following, un polar bricolé avec des amis, et est devenu un des seuls réalisateurs auquel les studios donnent carte blanche. Ses budgets sont de plus en plus conséquents.  En même temps, il garde une véritable vision d’auteur, un style de mise en scène, et il est très militant sur les formats de cinéma. Il a su évoluer et se remettre en question car lui, qu’on l’a longtemps accusé de faire des films-machine dénués d’âme, s’est attaqué au mélodrame avec Interstellar et essaye dorénavant d’aller sur des nouveaux territoires comme l’espionnage avec Tenet.

 

A lire: Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, de Timothée Gérardin (Editions Playlist Society, 2018)

 

 

 

Christopher Nolan, la possibilité d'un monde
Playlist Society

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