Whiplash
Ad Vitam

Avant La La Land, le réalisateur présentait Whiplash à Première.

En 2014, Whiplash avait triomphé au festival de Deauville, en recevant le Grand prix et le Prix du public. Première y avait rencontré son réalisateur. 

Y a-t-il une part d’expérience personnelle dans Whiplash ?
C’est le scénario le plus personnel que j’ai écrit. J’ai joué de la batterie moi-même, dans un programme de jazz, et j’avais un prof très dur qui me faisait hyper peur, mais qui était à la fois très inspirant. Pendant 4 ans, de 15 à 19 ans, j’étais obsédé par le jazz. Mes mains saignaient, je pratiquais comme un malade, et j’avais toujours peur de ne pas bien jouer. J’ai des souvenirs intenses et dramatiques de cette période. Le scénario de Whiplash est presque autobiographique, je l’ai écrit très rapidement. Puis je l’ai laissé reposer pendant un an. C’était tellement intime que ça me gênait presque de le montrer. Et quand je l’ai fait circuler, on a commencé à travailler dessus et de fil en aiguille, le projet a abouti.

Question théorique : y a-t-il un lien entre la batterie, le jazz et la musicalité du cinéma ?
Oui je pense. Ce que je préfère dans le cinéma, c’est le montage (même si j’adore travailler avec les acteurs). C’est là qu’on travaille la musicalité, la rythmique, et c’est là que je deviens un batteur. J’aime bien aussi l’idée du pur cinéma. J’aime les dialogues, mais j’adore les scènes sans paroles, dans le cinéma muet de Murnau, Lang, Chaplin bien sûr, mais aussi chez Anthony Mann, Boetticher, Peckinpah, Scorsese, Leone, qui savent exprimer des choses simplement avec les images, le son et la musique. Dans Whiplash, chaque morceau joué fonctionne comme dans une comédie musicale ou un film d’action : ils représentent des étapes, des séquences fortes conçues pour faire avancer l’histoire sans recourir aux dialogues. Mon prochain projet (Lala land) parle aussi du monde de la musique, que je connais assez bien et qui continue de me fasciner.

Cette idée de cinéma total était défendue par Michael Powell, l’auteur des Chaussons rouges, un film dont certains thèmes se retrouvent dans Whiplash, notamment la question du prix à payer pour son art, et la confrontation du maître et de l’élève. Etait-ce une référence consciente ?
Je ne crois pas, mais j’adore ce film et je l’ai vu plusieurs fois. Et je crois qu’on trouvera l’influence de Powell encore plus forte dans le film sur lequel je travaille actuellement. J’adore ses films, particulièrement ceux en couleurs, parce qu’ils font rêver. Je voulais faire un film violent et brutal, comme un film de gangsters, un polar ou un film de guerre. Alors que dans Les chaussons rouges qui est aussi un film très dur, il y a un côté romantique que j’ai voulu éliminer totalement de Whiplash. Je voulais faire le portrait vrai de ce monde, mais un portrait brutal.

Sachant que c’est un des seuls instruments qui ne se conçoit pas en dehors de la collectivité d’un orchestre, quel est le rapport entre la batterie et le cinéma?
C’est vrai que le cinéma est un art collectif, qui nécessite beaucoup de collaborateurs, pas tout le temps. Pour devenir très fort à la batterie, il faut être seul pendant longtemps parce que la pratique est un exercice solitaire. On se sent très isolé, on travaille dans de toutes petites salles, on est assourdi par le bruit et c’est une ambiance claustrophobe. En même temps, la batterie dépend de l’orchestre et l’orchestre de la batterie. L’un ne va pas sans l’autre, c’est un peu paradoxal. Dans le film, le personnage est de plus en plus isolé émotionnellement. Le lien avec le cinéma réside dans ce degré d’isolation : on traverse diverses étapes en compagnie de plus ou moins de monde. On passe de l’écriture, où on est seul, au tournage collectif et on retourne à la relative solitude du montage et du mixage.Interview Gérard Delorme

Whiplash de Damien Chazelle avec Miles Teller, J.K. Simmons et Paul Reiser sort le 24 décembre dans les salles