La Nuit d'Orion : Charlie Kaufman partage ses angoisses chez Dreamworks [critique]
Dreamworks/Netflix

L'auteur d'Eternal Sunshine adapte un livre pour enfants. A voir dès aujourd'hui sur Netflix.

Dire qu'on attendait le premier film pour enfants de Charlie Kaufman avec impatience est un euphémisme, tant le scénariste de Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999) et d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004) a su nous toucher par le passé. En tant que réalisateur aussi, d'ailleurs : son film Je veux juste en finir (2020) traitait du sujet délicat de la rupture amoureuse avec justesse, et son Anomalisa (2015), co-réalisé en stop motion avec Duke Johnson, était un bijou de spleen – depuis, impossible d'entendre "Girls Just Wanna Have Fun" sans visualiser son héroïne solitaire...

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La déception face à La Nuit d'Orion est proportionnelle à cette attente sans doute démesurée. Concrètement, le film ne manque pas de qualités : il s'adresse avec intelligence aux jeunes spectateurs sans non plus faire sombrer leurs parents dans l'ennui. Mais il manque "le" truc qui aurait pu le transformer en grand film. Un grain de folie ? Davantage de maîtrise technique ?

Sur le papier, imaginer cet auteur pouvoir mélanger toutes ses angoisses dans une même histoire s'annonçait comme une évidence. On y suit le petit Orion, qui a tellement peur de tout qu'il lui a été conseillé de dessiner ses frayeurs pour mieux les affronter. Des requins aux coups de foudre en passant par le néant ou le fait de ne pas retrouver ses mots, le jeune garçon peine à s'apaiser. Ce qui l'angoisse le plus ? Le noir. Alors chaque soir, avant de s'endormir, il demande à ses parents de laisser sa porte grande ouverte, puis allume une multitude de veilleuses pour tenter de trouver le sommeil. Jusqu'au soir où Noir en personne va l'embarquer avec lui en mission, afin de lui faire comprendre qu'il n'a rien de "méchant", qu'il fait simplement son job avec ses associés : Doux rêves, Sommeil, Sérénité, Insomnie et Drôle de bruit.

La Nuit d'Orion : Charlie Kaufman partage ses angoisses chez Dreamworks [critique]
Dreamworks/Netflix

Charlie Kaufman adapte ici le livre d'Emma Yarlett intitulé littéralement L'Enfant qui avait peur du noir. Il y apporte évidemment sa patte : une narration originale, dont on ne spoilera pas le concept ici, qui permet une grande liberté de ton, des réflexions bien senties sur les relations humaines, et un joli final se moquant gentiment des films de SF modernes. Elle lui offre aussi la possibilité de ne pas tout expliquer, de laisser certaines notions faire leur chemin sans tout à fait les comprendre (coucou la tortue !), ce qui est rafraichissant à l'heure où la tendance hollywoodienne est plutôt à la surexplication.

Pour autant, tout ne fonctionne pas parfaitement dans ce film, à commencer par... l'animation. Que ce soit dans le design choisi pour Noir, trop proche du Sully de Monstres et cie (2001) pour être original, au rendu parfois vraiment basique (par exemple sur les cheveux des personnages), La Nuit d'Orion manque d'idées visuelles renversantes. Il y a bien ce jeu entre Nuit et Lumière, concept efficace sur le papier là aussi, mais jamais exploité visuellement de manière réellement bluffante. Idem pour le changement de style dès que les dessins d'Orion prennent vie : c'est efficace, mais trop déjà-vu pour surprendre.

L'animation a pourtant été conçue par Mikros Images, qui avait fait un travail remarquable sur Capitaine Superslip (David Soren, 2017), déjà pour DreamWorks Animation. Le budget était-il en dessous des ambitions ? Les réalisateurs Sean Charmatz (connu pour ses concept arts de Bob l'éponge) et Tim Heitz (storyboarder des Trolls) ont-ils manqué de vision d'ensemble ? Il est en tout cas dommage pour un film traitant de concepts aussi riches que les rêves, les cauchemars et les frayeurs d'être aussi peu marquant sur ce plan.

Sur le fond, La Nuit d'Orion fourmille d'idées. Pourtant, là aussi, peu sont complètement poussées jusqu'au bout. En multipliant les peurs, l'équipe finit forcément par tomber juste -l'effrayant néant fait par exemple figure de climax intéressant- mais la plupart sont à peine effleurées. Sans compter que le film rappelle sans cesse de précédentes œuvres "high concepts", telles que Vice Versa (2015) de Pixar ou Les Cinq Légendes (2012), déjà conçu par DreamWorks.

Pour résumer, on aurait rêvé que La Nuit d'Orion nous transporte, il nous divertit sans imprégner plus que ça les esprits. On n'en fera pas des cauchemars, c'est déjà ça.


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