Après une décennie discrète qui l’a vu tenir ses meilleurs rôles au théâtre et à la télévision, Philippe Torreton revient en force au cinéma dans Présumé coupable, portrait bouleversant d’Alain Marécaux, l’un des acquittés de la sordide affaire d’Outreau. Rencontre avec un acteur flamboyant.Par Christophe NarbonneEst-il vrai que votre rôle dans Présumé coupable a modifié votre approche du métier ?Philippe Torreton : D’abord, je désespérais qu’on me confie un rôle où je doive jouer l’abandon et le désespoir. C’était une vraie frustration que j’avais partiellement comblée en tournant Ulzhan de Volker Schlöndorff. Présumé coupable a fait voler en éclats des barrières de pudeur chez moi. Je n’avais par exemple jamais été nu à l’écran auparavant. Là, ça ne m’a posé aucun problème, y compris dans la scène de la fouille au corps, où je suis bien gras. Si j’avais eu ne serait-ce que le plus petit frein par rapport à ça, j’aurais renoncé.Parlons de votre perte de poids...(Coupant) On en parle beaucoup mais pas de ma prise : j’ai dû commencer par peser 92 kilos pour que la perte de poids soit significative par contraste mais aussi, tout simplement, parce que Marécaux était enveloppé quand on l’a arrêté. C’était important de voir ce gros pépère installé, gagnant bien sa vie et « travaillant comme un con », pour reprendre ses mots.À propos de votre amaigrissement spectaculaire de 27 kilos, donc : était-ce nécessaire de jouer avec votre santé ?J’ai lu que j’avais livré une performance « deniresque »... Si une telle transformation physique n’est pas obligatoire, c’était à mon sens la moindre des choses envers ce qu’a vécu Marécaux. Comment jouer autrement quelqu’un qui a suivi une grève de la faim ?C’est du cinéma, on peut tricher.Admettons qu’un acteur puisse être très émouvant en ayant sa tête greffée numériquement sur un corps décharné. Quand bien même on y arriverait techniquement, il manquerait quelque chose de charnel et d’essentiel. Perdre ces kilos m’a plongé dans une sorte d’isolement, d’autarcie même, qui a nourri le rôle. Ça m’a aidé à aller vers la souffrance d’Alain, pas à être dedans. Vous saisissez la nuance ? L’important pour un comédien, c’est d’être dans une « triche sincère » : la mienne correspondait à 27 kilos, seuil au-dessous duquel j’aurais été incapable de jouer correctement. Or, l’important était de faire le film. Je rappelle qu’Alain a perdu 47 kilos et qu’il a flirté avec la mort. Le débat autour de mon amaigrissement paraît à côté totalement superficiel.Avez-vous rencontré d’autres victimes d’Outreau ?À aucun moment. Être acteur, ce n’est pas écrire une thèse sur un sujet. Qu’a-t-on à jouer d’autre que ce qui est dans le scénario ? Rien. C’est après le film que j’ai rencontré ces personnes. C’est maintenant que ça a du sens. Nous savions de toute façon qu’en racontant subjectivement Alain Marécaux, on parlait de toutes les victimes. Ça m’a fait penser à Ça commence aujourd’hui : ce film sur une école maternelle française n’avait rien d’universel et pourtant, c’est l’un des films de Tavernier qui s’est le plus vendu dans le monde.