Nouvelles images de Laurent Lafitte en Bernard Tapie
Netflix

Oui Bernard Tapie a bien commencé dans la chanson face à Michel Polnareff. Oui, il a aussi défendu sa cause auprès du procureur Eric de Montgolfier en pleine nuit. Mais non, il ne s'est pas marié entouré des stars de l'OM. Et il avait plus de deux enfants.

Tristan Séguéla et Olivier Demangel ont pris des libertés avec la véritable histoire de Bernard Tapie pour concevoir leur série pour Netflix. Ils ne s'en cachent pas, d'ailleurs, puisque chaque épisode débute par ce carton : "On reconnaîtra dans le parcours du héros des faits déjà connus du public. Au-delà, le rôle joué par l'entourage, et notamment par le personnage de Dominique, les situations de vie privée et les dialogues sont fictionnels."

Pour tenter de démêler le vrai du faux dans Tapie, le plus simple est sans doute de reprendre le fil de la série, épisode par épisode. Attention aux spoilers, évidemment : tout l'article qui suit détaille des éléments clés des 7 épisodes.

Nouvelles images de Laurent Lafitte en Bernard Tapie
Netflix

Episode 1 – Oui, Bernard Tapie a d'abord tenté de faire carrière dans la musique

La scène d'ouverture de Tapie paraît dingue, pourtant, après son service militaire, le futur homme d'affaires et ministre a bien tenté de devenir chanteur en participant à un télé-crochet, en 1966. Oui, il a gagné face à Michel Polnareff venu chanter "Passeport pour le soleil", en interprétant "Je ne crois plus les filles" sous le nom de Tapy (prononcez "Tapaï").

En voulant collaborer sur cette histoire, Tristan Séguéla et Laurent Lafitte, qui ont eu cette idée en travaillant ensemble sur 16 ans ou presque, en 2012, ont découvert cette archive de l'INA. Fascinés par cette émission, ils ont décidé d'en faire le point de départ de leur série, et ont donc incrusté le Bernard Tapy de Lafitte dans des images de la véritable émission. Un procédé réutilisé plus tard dans la série pour une autre scène télévisuelle clé de la carrière de Tapie : son débat politique contre Jean-Marie Le Pen.

 


Tapie : un homme, un mythe, une grande série (critique)

Bernard Tapie a eu plus d'enfants que ce que l'on voit à l'écran
Si Dominique (jouée par Joséphine Japy), est clairement présentée comme majoritairement fictionnelle, la série s'écarte déjà de la vérité bien avant qu'elle ne se mette en couple avec Bernard Tapie. Avec Michèle, incarnée par Ophélia Kolb, celui-ci a bien eu une fille, et ils se sont effectivement séparés lorsqu'elle était enfant. Mais elle s'appelait Nathalie, et non Stéphanie. Elle est née le 16 février 1968 et son frère Stéphane le 9 août 1969. Une fois en ménage avec Dominique Mialet-Damianos, il en aura deux autres, Laurent, né le 7 octobre 1974 et Sophie, née le 20 février 1988.

Tapie jeune
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Episode 2 – Oui, il a bien fondé Coeur Assistance

Le début de carrière de Bernard Tapie est un peu raccourci. Pour que la série ne s'étire pas trop, plusieurs petits boulots sont éclipsés et son parcours au sein du magasin d'équipements (d'abord Cercle n°1 puis Club bleu) est simplifié. Rien ne prouve que ce soit son patron d'alors (Fabrice Luchini) qui ait causé son divorce, même si c'est bien dans le cadre du travail qu'il a rencontré Dominique. Ils étaient tous les deux en couple à l'époque, et leur relation a mis plus de temps que dans la série a démarrer, mais le résultat est le même : il a bien quitté Michèle pour s'installer avec elle.

Concernant Coeur Assistance, on voit à la toute fin du show des images d'archives prouvant qu'il a bien fondé cette société et tourné des publicités (mensongères) pour promouvoir ce service -effectivement payant- d'ambulances. Suite à la mort d'un patient en 1976, soit deux ans après son lancement en partenariat avec Maurice Mességué, ce service d'urgence est fermé et Bernard Tapie finit au tribunal, puisqu'il promettait dans ses vidéos cinq véhicules sur Paris, et qu'il n'en avait qu'un. Ecopant d'une peine de prison d'un an, il sera finalement gracié par François Mitterrand.

Tapis rouge de Tapie
Abaca

Tapis rouge de Tapie avec Hakim Jemili, Laurent Lafitte, Josephine Japy et Camille Chamoux, à Paris, le 11 septembre 2023.

Episode 3 : Non, il n'a pas arnaqué un millionnaire à l'aide d'un faux Emir

La scène où Bernard et Dominique demandent à leurs proches Farid (Hakim Jemili) et Nicole (Camille Chamoux) de se faire passer pour un faux milliardaire venu du Moyen-Orient et son interprète est certes rigolote, mais trop tirée par les cheveux pour être crédible. Dans la réalité, l'homme d'affaires a bien été le cerveau de drôles de magouilles : il a notamment voulu racheter à bas prix les châteaux du dictateur africain Bokassa, en lui faisant croire que ses demeures avaient été saisies par les autorités françaises ! Un "coup" qui a échoué... contrairement à celui de la série, qui lui permet d'acquérir la société qu'il a dans le viseur pour beaucoup moins d'argent que prévu.

Notez que le personnage de Nicole n'a pas existé : elle s'inspire de Noëlle Bellone, qui a créé le Groupe Bernard Tapie en 1984. Elle fut sa secrétaire générale, puis sa directrice de communication, et elle est restée à ses côtés jusqu'en 1994. Soit bien après sa démission dans la série. Elle a aussi fondé avec lui les Ecoles Bernard Tapie, pour former des jeunes au chômage aux métiers de la vente. Elle fut aussi son attachée parlementaire entre 1988 et 1992, mais n'apparaît pas à ses côtés à ce moment-là du show. Censée être sa cheffe de cabinet quand il était ministre de la ville, elle est remplacée dans l'intrigue de la série par la fille de l'homme politique, Stéphanie.

Tapie Nicole
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Episode 4 : Oui, Bernard Tapie a animé une émission de télévision, mais...

Elle s'appelait Ambitions et non Réussite (à ne pas confondre avec le titre de son livre, Gagner), mais le concept était le même que ce qu'on voit dans le troisième épisode : Bernard Tapie accueillait un invité pour l'aider à concrétiser une idée d'entreprise. Si le principe d'une intro en mouvement, avec Tapie déambulant dans les couloirs du Zénith pour inaugurer son show de façon plus vivante, est vrai, il n'y a jamais eu de grève en même temps qu'un tournage d'émission. Rien ne dit non plus que sa femme ait dû le remplacer pendant qu'il gérait un conflit avec ses employés de chez Wonder (dont il fut le boss de 1984 à 1988).

Sur cet épisode, toute la temporalité est chamboulée pour créer un parallèle entre ses pratiques peu scrupuleuses de patron d'entreprise et son image publique d'entrepreneur à succès. Dans les faits, il a bel et bien animé ce show de 1986 à 1987, et a racheté des entreprises pour un franc symbolique tout au long des années 1980 : Manufrance, La Vie Claire, Teraillon, Donnay.... Aucun conflit social avec la CGT ne s'est en revanche déroulé pile pendant les coulisses de l'enregistrement d'une émission.

Tapie politique
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Episode 5 : Le face à face avec Le Pen est repris au mot près, mais l'équipe triche avec son job de ministre

Au cœur de la série se trouve un épisode 100% politique, dans lequel Bernard Tapie obtient les commandes du Ministère de la ville, monte une jeune équipe et veut avant tout privilégier les quartiers sensibles. Raconter tout cela en quelques minutes était mission impossible, alors les auteurs ont fait des raccourcis (quel choix de confiture pour le goûter ?) pour mieux mettre en avant l'image d'un homme qui cherche à bouleverser la définition d''homme politique'.

Ce qui intéresse vraiment l'équipe avec cet épisode, c'est le débat contre Jean-Marie Le Pen, qui fut "gagné" par Tapie grâce à sa verve : les échanges sont d'ailleurs repris mot pour mot au sein du montage où le personnage joué par Laurent Lafitte fait face au véritable leader du front national. Une victoire sur le court terme, car cet échange fait encore débat plus de 30 ans après, certains regrettant qu'il ait pu donner de la crédibilité à l'extrême droite en France.

Le départ précipité de Bernard Tapie de son poste est bien lié à ses affaires judicaires en cours, même si dans les faits, il a été blanchi en fin d'année 1992 et est revenu à son poste quelque temps. On comprend dans la série que sa démission forcée est décidée directement par François Mitterrand, mais c'est un peu plus compliqué que ça : une loi venait d'être votée pour contraindre un ministre à abandonner son poste en cas de mise en examen. Finalement, Bernard Tapie a fini par le perdre définitivement quand les élections législatives ont imposé le remplacement du gouvernement de Pierre Bérégovoy par celui d'Edouard Balladur.

Une fois encore, il s'agit plus de simplification que de mensonge : le but est de montrer dans l'épisode suivant à quel point ce poste de ministre manque à Bernard Tapie, qui avait de grandes ambitions dans le domaine de la politique.

Tapie Dominique
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Episode 6 : Les coulisses de l'OM sont fidèles, le portrait de sa femme, beaucoup moins

C'est certainement l'aspect qui aura été le plus critiqué de la série Tapie : Dominique y est montrée comme la complice de son mari, voire le cerveau derrière plusieurs transactions et décisions de vie. Leur fils, Laurent Tapie, réfute cette vision, qu'il juge "dans l'air du temps", mais très éloignée des rapports entre ses parents, au micro de RMC : "Dans la série, ils en font une femme d’affaires. C’est tout juste si elle n’est pas le cerveau. Ils ont pris la mouvance actuelle et ils l’ont appliquée au couple Tapie, c’est-à-dire que mon père est le chien un peu fou et ma mère cadre tout. Mais, sans vouloir faire offense à ma mère, le cerveau du couple c’était mon père, pas elle." 

Il aurait aimé raconter sa propre vision de son père, et pourrait d'ailleurs proposer son propre biopic à l'avenir. Comme sa mère, il se montre très critique envers la peinture faite de Bernard Tapie dans les scènes de famille, dans le privé, où il ne reconnaît pas ses parents. En revanche, il salue le travail de Tristan Séguéla et d'Olivier Demangel, ainsi que celui de l'acteur Laurent Lafitte, pour dépeindre sa personnalité publique, très proche du vrai Tapie sans pour autant tomber dans la caricature.

Tapie : pourquoi la série a été faite sans l'accord de Bernard Tapie et sa famille

Cet épisode montre aussi comment Bernard Tapie a orchestré un plan alambiqué pour que des joueurs de Valenciennes lèvent le pied face à son équipe de l'OM. Pas pour le match de la finale, mais juste avant, espérant que cela soit moins repérable. Cette tentative de corruption a fait scandale en 1993, et elle est connue sous le nom de "l'affaire VA-OM". Tous les éléments montrés (l'offre au téléphone, l'argent enterré dans le jardin...) viennent des dépositions des personnes impliquées, puisqu'on voit bien dans l'épisode suivant que ce dossier a été traité sérieusement par un procureur, Eric de Montgolfier.

tapie
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Episode 7 : Il n'y avait pas de stars de l'OM au mariage, et la confrontation chez le proc' est romancée

Comme pour l'épisode 4, la temporalité de cet épisode a été largement chamboulée par rapport aux faits. Bernard et Dominique se sont bien dit oui sur l'île grecque de Corfou, mais c'était le 23 mai 1987, et non en pleine Ligue des Champions en 1993. Il n'y avait donc pas de Basile Boli, ni de Didier Deschamps parmi les invités... puisqu'il n'avaient pas encore rejoint l'Olympique de Marseille ! Il n'y avait pas non plus le maire de cette ville, car les deux hommes se détestaient – ce qui est par ailleurs très clair dans le reste de la série.

La rencontre avec le procureur est plus proche de la réalité. Bernard Tapie n'a pas débarqué par surprise, mais il avait demandé un rendez-vous de nuit, en toute discrétion pour éviter la presse. Le vrai Eric de Montgolfier, interprété avec brio par David Talbot, se souvient dans Marianne d'une discussion courtoise, avec "un Bernard Tapie charmeur", jamais menaçant. Il se dit aussi surpris par son propre côté "narquois et moqueur". Fictionnel, cet échange est tout de même crucial pour comprendre la psychologie du personnage, qui ne peut plus mentir face à un tel interlocuteur.

Les auteurs ont ensuite choisi de stopper la série en montrant son protagoniste en prison. "Pour nous, Tapie, c'est l'histoire d'un prolo qui s'extrait de sa condition et qui est ramené finalement à sa condition initiale, expliquent-ils dans Première. L'histoire de Bernard Tapie, c'est un peu une histoire de lutte des classes. On aurait pu raconter ce qu'il a vécu après - c'est intéressant aussi - mais cela aurait été complètement autre chose. Du point de vue de la parabole, de la vision morale qu'on avait du personnage, cela nous paraissait un bon endroit pour clore la saga d'un homme qui était à la fois victime et coupable."   Voilà pourquoi la scène finale se déroule en 1997, quand Bernard Tapie était effectivement incarcéré.

Déposé par son père en cachette, enfermé dans le coffre de sa voiture, à la maison d'arrêt de la Santé, il n'a pas été acclamé par les autres prisonniers, assure son fils, qui explique qu'il n'avait aucun contact avec eux, puisqu'il a purgé sa peine dans le quartier de haute sécurité.

Ce que l'on voit aussi dans la série, paradoxalement : il est seul dans sa cellule et lors de ses pauses en extérieur. Inquiète de le voir enfermé dans une pièce sans fenêtre, où il était réveillé plusieurs fois par nuit pour s'assurer qu'il ne s'était pas suicidé, sa femme a demandé qu'il soit transféré à Luynes, dans les Bouches-du-Rhône. C'est là que les prisonniers le connaissaient et ont pu l'acclamer. Des cris : "Tapie ! Tapie !", qui font échos avec ironie à sa victoire en tant que patron de l'OM.

La série se boucle sur quelques images d'archives, ce qui a pour le coup touché Laurent Tapie, qui a révélé à RMC ne les avoir "jamais vues". Le fait de boucler l'histoire sur de véritables images de son père fonctionne, selon lui, même s'il ne comprend pas pourquoi Tristan Séguéla n'a pas cherché à coller davantage à la réalité : "Le parti pris d’avoir fait une fiction, je ne le comprends pas. La vie de mon père était tellement riche que (le réalisateur) aurait pu faire sept épisodes de ce réel, et ça aurait été tout aussi spectaculaire, si ce n’est plus."

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