- Fluctuat
Plus qu'un hommage à Belle de jour de luis bunuel, Belle toujours de Manoel de Oliveira est surtout une grande hypothèse de cinéma balayant avec joie et vigueur tous ses actes de décès.
- Exprimez-vous sur le forum Belle toujoursIl y a longtemps désormais, on avait postulé que le cinéma était mort. Et si au contraire il n'était jamais mort, et si sa force tenait justement à l'idée qu'un film pouvait toujours ressusciter ? Pourquoi même ne pas imaginer que la cinéphilie n'a pas encore connu son âge d'or, qu'elle serait toujours devant plutôt qu'enfouie dans le crépuscule hollywoodien ? C'est peut-être un peu de ça dont parle aussi le nouveau film de Manoel de Oliveira. Pour en finir avec un film il faut oser s'y confronter. Et pour en finir on peut sans cesse lui imaginer des suites, des prolongements, d'une oeuvre à l'autre ou bien pour soi. Un personnage de cinéma est éternel, on peut le sauver ou bien le tuer, tel Neo dans Matrix sauvant Trinity avec l'écho de Kim Novak et James Stewart dans Vertigo. Ainsi va de Belle toujours où Oliveira s'amuse à organiser les retrouvailles des personnages de Belle de jour, le film de Bunuel dont il est un hommage.Une histoire qui n'a jamais existéImaginer une suite à l'histoire inventée par Bunuel et Carrière, c'est une liberté qu'Oliveira s'offre au-delà de la facétie cinéphile. S'amuser à réunir Séverine (Bulle Ogier remplaçant catherine deneuve) et Husson (michel piccoli toujours) quarante ans plus tard dépassant même l'encombrant postulat de la citation ou la crispante volonté fétichiste. Il s'agit plutôt de faire de Belle toujours un film qui balaierait les malentendus propres au discours du cinéma sur le cinéma. Plus pop que jamais, Oliveira y invente un parcours serré, à la fois diurne et nocturne, où ses personnages dialoguent avec une histoire qui, comme le dit Piccoli, « n'a jamais existé ». Du jeu du chat et la souris qui ponctue d'abord les rencontres aux lieux visités, tel ce bar où Piccoli confie son histoire à un barman qui en retour lui révèle son rôle de confident, chaque espace y devient un cadre émaillé de signes tandis que la mesure du film, son rythme singulier et régulier, nous mène inexorablement vers une résolution impossible.Se confronter à l'imaginaireImpossible car à jamais non dite et liée à un secret, celui de savoir si oui, ou non, dans Belle de jour, Husson avait avoué la vérité au mari de Séverine. Ainsi Belle toujours devient un parcours plein d'énigmes pris en charge par ces signes (peinture, sculpture, apparition surréaliste) où la mémoire et le passé seraient d'abord liés à un imaginaire potentiellement réactualisable à l'infini. Partir de Belle de jour pour en sceller peut-être le cercueil, en finir une fois pour toute pour Oliveira, c'est aussi et inversement le ressusciter en imaginant une forme inédite de suite au cinéma. C'est par son projet et sa forme si unique que le cinéaste invente une oeuvre qui, plutôt que de se calfeutrer dans des souvenirs rassurants, ose au contraire se confronter à l'imaginaire. Imaginaire qui justement contient cette résolution impossible car elle ne peut appartenir qu'à Bunuel.Ainsi Belle toujours chemine à la fois noctambule et éveillé au fil de la fiction. Telle une entre fiction, il joue avec la vérité et le mensonge, entretient le mystère, ne veut évidemment répondre de rien. Il laisse au contraire le film de Bunuel intacte, complètement libre pour lui-même et à chacun. Le toujours du titre apparaît alors comme son seul programme, sa volonté de laisser l'oeuvre ouverte malgré la possible fermeture qu'il offre. Il propose même mieux, de voir Belle toujours comme une oeuvre à la fois parfaitement filiale et autonome. Il se sait du passé mais aussi absolument au présent. C'est peut-être là une certaine forme de sagesse et surtout une hypothèse de cinéma qui nous sauverait de tous ses actes de décès. Belle toujours
De Manoel de Oliveira
Avec Bulle Ogier, Michel Piccoli
Sortie en salles le 11 avril 2006
© Les Films du Paradoxe
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Belle Toujours