Première
par Thierry Chèze
Les documentaires d’Hubert Sauper sont toujours des jeux de piste passionnants. Après l’épatant Le Cauchemar de Darwin (sur l’impact de l’industrie de la pêche sur le fragile écosystème tanzanien) et le plus décevant Nous venons en amis (sur le conflit armé entre Soudanais), le voilà qu’il quitte l’Afrique pour mettre le cap sur Cuba pour un portrait de l’île qui une fois encore va transcender son apparent sujet. Certes, il se ballade dans les rues de La Havane, y croise locaux et touristes, y interroge des enfants assez incroyablement éveillés sur la situation de leur pays au point qu’il les surnomme « les jeunes prophètes ». Mais en venant sur l’île castriste et à travers ces questions à ces gamins, Sauper ambitionne surtout de raconter plus d’un siècle d’interventionnisme américain à travers le monde, cette politique de l’Oncle Sam qui, divisant la planète entre bons et méchants, a passé plus de 100 ans à intervenir dans différents pays pour punir les seconds et soi- disant libérer les premiers. Au Vietnam, en Afghanistan, en Irak… et donc à Cuba. Puisque c’est là – d’où le titre Epicentro – que tout a commencé en 1898 avec l’explosion de l’USS Maine (dont les causes réelles sont encore discutées), sorte de catalyseur qui a, en réaction, mis définitivement fin à la domination espagnole et inauguré l’ère de l’Impérialisme américain. En mêlant images d’archives et plongée en immersion dans le Cuba d’aujourd’hui, Sauper délivre une leçon d’histoire ludique à travers un documentaire qui n’aime rien tant que flirter avec la fiction, de manière franche et assumée. D’autant plus que cette réflexion sur la toute puissance américaine se double d’un questionnement sur le pouvoir de l’image, la naissance de l’Impérialisme américain correspondant avec celle du cinéma, outil de propagande dont vont user et abuser les Etats- Unis à travers le temps. Un documentaire de tout premier plan.