Le spectateur est d’emblée plongé dans une nuit épaisse. Des hommes s’approchent d’une maison et se mettent à chanter une sérénade. A l’intérieur, une famille. La caméra attend le lever du jour et part visiter la baraque décrépie. Cette maison, et le pays qui l’environne, c’est l’Italie éternelle, pauvre et insouciante, où cette drôle de colonie survit à l’écart du monde. Entre la poésie bucolique et le comique populaire (mélange harmonieux de Pasolini et de Scola) on va alors suivre le personnage central, Lazzaro, un jeune garçon mutique qui travaille aux champs et traverse des paysages édéniques. Mais brutalement, Lazzaro meurt. A son réveil, les bagnoles ont remplacées les carrioles, le servage est aboli, la famille a vieillie et les anciens paysans bouffent en fouillant les poubelles. Seul Lazzaro n’a pas changé, incarnation éternelle du rêve et de l’imaginaire dans une société devenue stérile. En basculant dans le futur, le film devient un manifeste un peu trop appuyé sur la décroissance où le style pseudo-documentaire a remplacé la clarté lumineuse du début. La parabole est lourde et incompréhensible. La cinéaste suit-elle les traces d’Hugo (et son « Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève toi » qui appelait à l’insurrection du peuple), de Dostoievski (le Lazare salvateur) ou de Cayrol (peut-on encore créer après la destruction) ? Rohrwacher semble paumée, mais son film prouve, après ceux de Garrone et de Sorrentino, que le cinéma italien tente par le conte de conjurer les toxines fascistes qui polluent son histoire politique.