- Fluctuat
Astérix est - comme tous les films de Christian Clavier et malheureusement bon nombre de ceux de Zidi - un formidable piège tendu au critique de cinéma.
Le "cinéma populaire" dont Astérix se revendique (et il en a le droit sur son sujet, peut-être le plus proche du pays réel qui ait été jamais porté à l'écran) serait ainsi fait qu'il doit échapper au jugement commun des cinéphiles pour mesurer sa qualité à l'aune de l'inconscient porte-monnaie collectif. Le fait est que notre argent dans la poche du producteur sonne plus fort et juste que nos rires d'enfants dans la salle de projection.Dire du mal d'Astérix est un comportement qui nous rattache nécessairement aux rangs des intellectuels contempteurs de la culture de masse, offusqués que la plèbe puisse s'avilir à la sinistre bassesse de... rire des pitreries de Monsieur Astérix et de son ami Obélix quand il existe en France et plus généralement au monde des divertissements plus fins tout aussi réjouissants. La trahison des intellectuels est cependant plus grave cette fois-ci puisque que trahir Astérix (donc trahir Clavier) devient, parce que le personnage du Gaulois est l'incarnation de Notre Pays, trahison d'Etat, crime passible de la peine la plus lourde qui soit : l'expulsion ad vitam aeternam du nombre des gens sympas.Aimer Astérix en l'état, cependant, n'est possible que si l'on est capable de "voir au travers" ce qui nous faisait tellement marrer dans la BD, de caresser, par les yeux, la jouissance de notre entendement d'enfant. Et là, la tâche se complique. Il n'est pas certain que Proust, lui-même, expert en réminiscences, ait été capable en son temps de retrouver le bonheur éprouvé à la lecture en découvrant ce qui nous est proposé ici. Non que le film n'arrive pas à rappeler qu'il traite le sujet : il faudrait être bigleux pour ne pas reconnaître le village gaulois, Astérix, Obélix, Idéfix et les autres, le cul de Falbala (ses seins en l'occurence, un rien surjoués par la merveilleuse Laetitia Casta), les différentes séquences arrachées qui du Devin, qui de la Zizanie, qui de la Serpe d'Or. Les décors sont "ressemblants". L'histoire se tient, même si elle aurait pu être plus exaltante. Astérix le film est Astérix, cela ne fait aucun doute. Les couleurs ont été respectées, le casting est intelligemment bâti - malgré la présence d'acteurs qu'on n'aime guère - pour que la physionomie de chacun réponde à celle des personnages.Le problème est qu'il ne s'agit pas de décalquer la BD pour en faire une adaptation. Il faut la lire, la digérer, en pétrir la pâte (à papier) pour en faire jaillir la substance. Zidi s'est planté. En tant que lecteur, il n'a rien compris à Obélix : son Depardieu est à deux doigts d'être sexué, il est benêt, mélancolique (limite rousseauiste-wertherien) au lieu d'être enfantin et...rebondissant. Panoramix est new-age plus que bouddhiste. L'entrée du Devin (probablement la plus inquiétante entrée de BD du monde, avec cette ombre de loup portée qui court du sol au plafond) est une pantalonnade. Le devin sourit au lieu de ricaner. Ah ! Ah ! C'est un escroc au premier coup d'oeil. Comme l'ensemble du film, il est coupé, dès le départ, de son mysticisme, de son âme (dirions-nous si nous voulions être vraiment méchant). Plus grave, Zidi n'a rien compris en termes de cinéma : l'inclinaison de sa caméra fait, à au moins trois reprises, qu'Astérix paraît plus grand qu'Obélix. La tortue romaine, supposée menaçante, se perd dans l'immensité verte d'un pâturage filmé trop large. Les mouvements sont eux-même mauvais : les acteurs sont parachutés dans des plans où ils n'ont rien à faire.Quant aux trucages, par Toutatis, ils ont coûté si cher que le réalisateur se sent obligé de les filmer à chaque fois en gros plan. Ainsi, l'absorption de la potion magique est-elle "décrite" une bonne demi-douzaine de fois par un zoom-avant détestable. Les acteurs pâtissent de ces erreurs et sont, comme des mômes de trois ans, livrés à leur propre souvenir du petit gaulois. Clavier y va de ses intonations débiles. Comme de Funès ou Gabin, il tend à n'interpréter plus, au fil des films, qu'un seul et unique personnage. Depardieu met son épaisseur humaine dans un Obélix qui n'en demandait pas tant. Begnini en profite pour se payer une bonne tranche de plaisir au lieu de faire le méchant. Casta joue faux comme aurait du le faire Arielle Dombasle qui, pour une fois, joue juste. Décidément... Le plan qui ouvre le film est le plus réussi (c'est un paysage) avec l'épisode jubilatoire où le fiancé de Falballa est présenté comme une sorte de Chippendale mannequin à la Redoute. C'est le seul instant où l'allégorie film-BD est pertinente et... fait rire. Le tout s'achève sur une chanson hors-sujet (non qu'elle soit plus mauvaise que d'habitude) de Jean-Jacques Goldman interrompue au bout de deux mesures... par charité.Astérix, à défaut de faire rire, ennuie (avec sa laideur de film pornographique, son absence de rebondissements, son côté compil d'albums) et réussit le prodige - justement parce qu'il ressemble trop à la BD, parce qu'il est, en un sens bien fait - d'être la première adaptation à remettre en cause notre goût pour l'oeuvre dont il est tiré. En sortant, nous nous demandons si Astérix d'Uderzo était bien ce qu'on en a fait, s'il méritait toute l'attention et l'amour qu'on lui a donnés pendant des dizaines d'années sans y regarder à deux fois. Dans le canapé, on se surprend à relire un album. Ca y est, par la grâce de Clavier et de Zidi, Astérix ne nous fera plus jamais rire.Astérix est surfait. Peut-être serait-il bon - au moment où on apprend qu'Inspecteur Gadget est adapté à Hollywood - de faire une pétition pour interdire aux gens bien intentionnés de voler nos rêves dans les plumes.Asterix et Obélix
Réal. : Claude Zidi
Avec : Christian Clavier, Gérard Depardieu, Roberto Benigni, Michel Galabru, Claude Piéplu
Film allemand, français, italien (1998)
Durée : 1h 49mn
Date de sortie : 03 Février 1999