La fleur du mal : Un Chabrol plan-plan [critique]
Carlotta Films

Nous avions rencontré Nathalie Baye, Suzanne Flon et Mélanie Doutey pour la sortie du film, en février 2003.

La culpabilité peut-elle se transmettre, comme certaines maladies, de génération en génération ? Quels effets une faute non expiée peut-elle avoir pour le coupable mais aussi pour ses descendants et sa famille ?

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, dans l'atmosphère délétère des règlements de compte liés à la collaboration, une femme est acquittée d'un crime qu'elle aurait peut-être commis. De nos jours, pendant les dernières élections municipales, un tract anonyme adressé à ses descendants vient faire ressurgir ce trouble passé...

La fleur du mal, film de Claude Chabrol réunissant notamment Nathalie Baye, Mélanie Doutey, Suzanne Flon, Benoît Magimel et Bernard Le Coq, est sorti au cinéma en 2003. Il reviendra ce soir sur Arte, mais notez qu'il est déjà visible en replay sur le site de la chaîne).

A sa sortie, Première avait été un peu déçu par ce drame familial, que Sophie Grassin présentait dans sa critique comme "un Chabrol plan-plan" par rapport à d'autres oeuvres grinçantes sur les moeurs de ses contemporains, dont il s'était fait une spécialité, de La Cérémonie à Merci pour le chocolat. Le film est cependant loin d'être complètement raté, et vaut le coup d'oeil ne serait-ce que pour son casting 5 étoiles et sa thématique du double, souvent développée par le cinéaste.

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Au sein du numéro d'avril de cette année-là, ses trois comédiennes principales se confiaient dans nos pages, et racontaient la fierté d'avoir été invitées dans l'univers du cinéaste.

Première : Chabrol est un cinéaste très populaire, ses films passent souvent à la télé, son univers est balisé. Vous êtes-vous senties d’entrée en terrain connu ?
NATHALIE /
Le premier jour, quand on arrive sur le plateau, on débarque au sein d’une équipe qui se connaît par cœur et qui regarde dans la même direction. Petit à petit, quand on voit Claude chercher des choses dans la mise en scène, mettre sa caméra là où on ne l’attendait pas pour créer une atmosphère trouble, on commence à percevoir le film à la Chabrol, à renifler cet univers de non-dits, de sous- entendus, et ça devient un plaisir supplémentaire.

Tous les personnages sont très ambigus, ils ont plusieurs facettes. Cela
doit être à la fois excitant et difficile à jouer ?
SUZANNE /
C’est surtout excitant. Les personnages monocordes, merci bien!

Nathalie, vous interprétez une grande bourgeoise qui frise la caricature. Cela doit requérir une précision extrême dans le jeu.
NATHALIE /
Mon personnage est à la limite de la caricature, mais elle est aussi très réaliste, sur le plan vestimentaire notamment. La costumière m’avait d’abord proposé des tenues très jolies, très seyantes, mais qui ne me satisfaisaient pas. Regardez les femmes ministres: en général, elles ont des tailleurs avec des couleurs criardes parce qu’il faut se montrer dynamique et de bonne humeur.

Chabrol vous a-t-il briefées sur les us de la bourgeoisie bordelaise ?
MÉLANIE /
Il n’en a pas eu besoin. L’évidence de cette famille s’est faite en arrivant sur le plateau.

NATHALIE / Les décors, par exemple, sont importants. Cette maison où se passe l’essentiel de l’action raconte plein de choses. La situation, l’histoire et les dialogues font aussi qu’à un moment donné, on rentre dans le moule. Mélanie et moi, nous avons très peu de scènes ensemble mais, paradoxalement, c’est très parlant: cela induit que cette mère et cette fille sont très complices, qu’elles n’ont pas besoin de se parler beaucoup pour se comprendre.

Chabrol est-il lui-même un bourgeois ?
NATHALIE / Il est inclassable, hors normes.
SUZANNE / C’est Chabrol !

Est-ce parce qu’il est inclassable que son univers ne se démode pas ?
NATHALIE /
Certainement. Ses histoires sont intemporelles. Elles pourraient se passer aussi bien au XVIe siècle qu’au XXIIIe.
MÉLANIE / On a tous connu ces ambiances de famille, de maison, d’atavisme. Les films de Chabrol ont quelque chose d’universel.

Voici la critique de Première publiée à sa sortie : Beaucoup de films de Chabrol mettent en scène des doubles: Micheline et Michèle endossent ici des variantes du même prénom et du même destin. François se détermine loin du double négatif que lui renvoie son père. La Fleur du mal prend sa source pendant l’Occupation, période favorite du cinéaste (Le Sang des autres, Une affaire de femme, L’OEil de Vichy) et montre une famille bourgeoise digne des Atrides – on s’y embrasse pour mieux s’étouffer ou étouffer toute mobilité sociale –, un présent perpétuel, des culpabilités qui se reproduisent à l’identique. Ayant la particularité de partir de ses personnages plutôt que de ses intrigues, Chabrol croque un ignominieux (Le Coq) comme toujours pourvu d’une belle vitalité, et une Marie-Chantal en tournée électorale dans les HLM de la France d’en bas, prétexte à des dialogues savoureusement cyniques. Mais le reste – l’amour des jeunes gens et la faute non expiée de tante Line – se traîne à la façon d’une tortue arthritique ou d’une soirée électorale télévisée. Ou bien n’est carrément pas traité, sinon lors d’un brusque dénouement. Comme si, à force de vouloir brouiller les pistes, Chabrol finissait au fond par n’en filer aucune.

Bande-annonce :


Claude Chabrol : Portrait critique d’une bourgeoisie française