George Miller décrypte le trailer de Furiosa : Une saga Mad Max
Warner Bros.

On n’osait pas en rêver, pourtant George Miller signe un nouveau chef-d’œuvre de sa saga chromée. Sans Max le Dingue au générique, mais avec une fureur inentamée.

Avec 948 000 entrées enregistrées en France, ce Mad Max sans Max a floppé façon historique en mai dernier. Fury Road avait totalisé plus de 2 millions de tickets en 2015, et malgré la promesse d'un nouveau grand spectacle signé George Miller, ce préquel consacré à la Furiosa -initialement incarnée par Charlize Theron- n'a que très peu intrigué les fans de son prédécesseur. Il ne manque pourtant pas de qualités, à commencer par Anya Taylor-Joy, absolument démente en guerrière sauvage. La preuve ce soir sur Canal +, ainsi qu'en replay pour les abonnés à MyCanal.

Certes, Fury Road était plus organique et direct, Furiosa a été conçu avec d'avantage d'effets numériques, et son chapitrage à la manière d'un conte, qui permet d'étendre son récit sur une quinzaine d'années et non un week-end, tranche avec le concept de ses aînés. Il ne méritait pourtant pas un tel flop : côté action, Miller prouve grâce à ce nouveau blockbuster qu'il est toujours un maître de la mise en scène, et sur le fond, il étoffe encore davantage son "wasteland", sa terre brûlée où tout n'est que chaos et destruction.

Vous l'aurez compris, la rédaction vous le conseille. Voici notre critique, initialement publiée lors de sa découvert au festival de Cannes 2024.

Douze choses à retenir des bonus de Furiosa : Une saga Mad Max

"Do you have it in you to make it epic ?", demandait Dementus (Chris Hemsworth) à Furiosa (Anya Taylor-Joy) dans la bande-annonce du nouveau George Miller, cinquième volet de la saga Mad Max (mais le premier sans Max). En s’asseyant devant ce Furiosa aussi désiré que redouté, on avait envie de retourner la question au film lui-même. "Est-ce que tu as de quoi devenir légendaire ?" Seras-tu suffisamment "épique" ? Est-ce que tu peux tenir la promesse de Mad Max : Fury Road, quatrième épisode miraculeux, qui ressuscitait en 2015 le mythe Max Rockatansky et atomisait tout sur son passage, les mâchoires des spectateurs comme la concurrence au rayon cinéma d’action – au rayon cinéma tout court.

Si on doutait de Furiosa, c’est à cause de ces trailers barbotant dans leurs effets numériques un peu moches, et qui faisaient d’autant moins saliver qu’ils semblaient contredire ce que Fury Road avait fini par symboliser : une résistance du cinéma "en dur", relié par sa pureté cinétique à l’ère du muet et à la grandeur du cinéma des origines, un antidote aux blockbusters épileptiques contemporains sur fonds verts.

Le tournage de Furiosa a été éprouvant pour Anya Taylor-Joy, son visionnage aussi

Furiosa allait-il décevoir ? Etre une nouvelle douche froide façon Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre (le troisième opus mal-aimé de 1985) ? Pas de panique : il suffit d’une poignée de secondes pour être rassuré. Le film vous saute à la gorge d’emblée et ne vous relâchera que deux heures et demi plus tard. George Miller est en pleine possession de ses moyens. Au sommet de sa virtuosité de storyteller, maître de son royaume, ce Wasteland de sable, de chrome et de sang qu’il explore ici dans les moindres recoins. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais combien de cinéastes de son âge (79 ans) parviennent à décocher des films aussi souverains, massifs, monumentaux, incarnés, sans une once de cette étiolement artistique qui frappe souvent les grands maîtres vieillissants ?

Il s’agit, donc, de raconter l’origin story de Furiosa, Imperator de son état, guerrière rebelle qui volait la vedette au Mad Max joué par Tom Hardy dans Fury Road – Charlize Theron a laissé la place à deux actrices, Alyla Browne (qui joue le personnage enfant) et Anya Taylor-Joy. C’est l’histoire du trauma originel du personnage, de comment elle fut arrachée à sa Green Land nourricière, puis de sa longue croisade vengeresse contre Dementus, chef maboul et mégalo d’une bande de bikers barbares, odyssée au cours de laquelle on s’interrogera sur le sens de la vengeance et le goût des larmes. Le film est autant un prolongement du précédent volet que son antithèse.

 

Chris Hemsworth parle de son "personnage plutôt horrible" dans Furiosa
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Prolongement, parce qu’il accentue, avec ses couleurs irréelles, ses nuits américaines "exagérées", son feeling plus manga que jamais, le sentiment d’être devant une sorte d’anime live. Mais une antithèse aussi, parce que là où Fury Road fonçait comme une flèche, d’un point A à un point B et retour, entre Bip-Bip et Coyote et La Chevauchée fantastique, Furiosa est un récit au long cours, foisonnant, chapitré, démesuré, mythologique. Il y a des morceaux de bravoure extravagants (une nouvelle et démentielle variation sur la course-poursuite finale de Mad Max 2, où un Porte-Guerre est attaqué par des bikers déchaînés – une folie totale) mais aussi des pauses, des respirations, du temps qui passe, des chemins de traverse et même quelques scènes de parlote. C’est une saga, vraiment, comme le dit le sous-titre. Une saga racontée par le History Man (vieil homme dont le nom apparaissait à la fin du précédent film, et dont on peut supposer sans trop de risques qu’il est une sorte de projection de George Miller lui-même), et dont l’écho se propage à travers les Terres Dévastées, ce monde sans livres ni Internet mais où les fables, les mythes, constituent des lueurs d’espoir au milieu de la fureur et du chaos.

George Miller a écrit un autre prequel de Fury Road centré sur Max et Tom Hardy

Tout ça est bien beau, nous direz-vous, mais comment faire un Mad Max sans Mad Max ? Un Mad Max véritablement "beyond" : au-delà de son visage-totem et incarnation suprême ? Anya Taylor-Joy, actrice éminemment graphique, serre les mâchoires et fronce les sourcils, dans la roue de Theron, déterminée à élever son perso au rang d’icône moderne, une Ellen Ripley post-apo. Elle fait le job, vaillamment. Chris Hemsworth est excellent en motard barjo, "seigneur acclamé de la sphère motorisée" (c’est comme ça qu’il se présente), trouvant le mélange idéal de brutalité flippante et de ridicule ubuesque. Il y a même une sorte de nouveau mini-Max, nommé Praetorian Jack (joué par Tom Burke, l’Orson Welles de Mank), qui a hérité de Mel Gibson son cuir et son cool. Immortan Joe est là, colossal à souhait (Hugh Keays-Byrne, décédé en 2020, a été remplacé par Lachy Hulmes). Les War Boys sont de sortie, par centaines.

Furiosa - une saga Mad Max (2024)
Capture d'écran YouTube

Mais la vraie star du film, au fond, c’est ce monde. Ce Wasteland que Miller a entrevu en un flash affolé, sur les longues autoroutes sombres des seventies, et qu’il ne veut plus quitter. Furiosa est un chef-d’œuvre de world-building, pas très loin d’Avatar 2 (dans les promesses qu’il tient, dans le plaisir qu’il offre), où le cinéaste s’éclate à peaufiner sa vision, à "augmenter" son univers. On visite Pétroville et la Bullet Farm (ces lieux cités dans Fury Road mais restés perdus dans le lointain), on s’attarde dans les corridors et les recoins de la Citadelle d’Immortan Joe. Chaque nouveau nom de personnage, chaque nouveau bolide déglingué, chaque clou rouillé, a été manifestement choisi et soupesé avec un soin maniaque. Miller exulte en constatant que le Wasteland est un réservoir d’histoires sans fin.

Les thèmes et motifs sont ceux de toujours (les enfants perdus, les mythes qui consolent, l’espoir à l’horizon), les influences aussi (BD, western, cinéma muet, films de samouraï, de vengeance), reformulés dans une forme souveraine et terrassante. En regardant ce film, la façon dont il grandit au fur et à mesure de sa projection, dont il vous emporte comme un torrent, on a l’impression d’être le lecteur d’un vieux grimoire retrouvé dans les sables de l’outback australien – une collection de récits immémoriaux, brutaux, très violents, venus d’un lointain âge de pierre qui ressemblerait aussi beaucoup à notre futur imminent. Trop heureux de cette découverte miraculeuse, on le parcourt halluciné, presque incrédule, les cheveux dressés sur la tête et les yeux injectés de sang.

Bande-annonce de Furiosa :


Furiosa - George Miller : "L’histoire était si bonne qu’on devait simplement la raconter" [interview]