Les Rois de l'arnaque : Quand la réalité dépasse la fiction [critique]
Netflix

Entre La Vérité si je mens, Le Loup de Wall Street et un épisode de Strip-Tease, le docu de Guillaume Nicloux est fou !

Netflix a mis en ligne début novembre Les Rois de l'arnaque, un documentaire sur les escrocs à l'origine de "l'arnaque du siècle", imaginée en 2008 lors de la mise en place de la taxe carbone. Une histoire déjà racontée par Olivier Marchal dans Carbone (2017), une fiction librement inspirée par cette affaire et portée par Benoît Magimel, mais qui s'avère encore plus folle quand elle est narrée par ses véritables "héros". Mardoché "Marco" Mouly ne se fait pas prier pour relater sa version des faits, détaillant avec un bagout déroutant son parcours de "petit arnaqueur" de Belleville ("C'était dans la légalité !", lâche-t-il sans sourciller en préambule, alors qu'on vient tout juste de comprendre qu'il a in fine écopé de sept ans de prison) jusqu'à escroc capable de voler des millions d'euros à l'Etat français. Personnage "bigger than life", il rappelle autant les tchatcheurs de La Vérité si je mens que les anti-héros rêvant de grandeurs de Martin Scorsese, ceux des Affranchis et du Loup de Wall Street en tête.

Que vaut Carbone, le polar d'Olivier Marchal ? [critique]

Un tel personnage, suivi de près comme dans un épisode de Strip-Tease, justifie à lui seul la création du documentaire, le spectateur se retrouvant vite estomaqué devant l'enchaînement de séquences plus incroyables et absurdes les unes que les autres, avant de laisser place à une réalité plus violente, l'escroquerie prenant tant d'ampleur que le docu se transforme peu à peu en thriller sanglant, avec ses hommes de mains engagés pour assassiner des adversaires, alors que les millions coulent à flot.
Malins, le réalisateur Guillaume Nicloux (L'Enlèvement de Michel Houellebecq, Valley of Love...) et le scénariste Olivier Bouchara (qui adapte ici sa propre enquête pour Vanity Fair) parviennent qui plus est à ne pas trop perdre le public en explicitant les arnaques de façon ludique, à la manière de The Big Short, d'Adam McKay. Pas à l'aide de caméos de stars, mais avec des jouets, par exemple un train en Lego traversant la frontière en transportant des billets de banque ou un enfant expliquant à l'aide d'une carte comment les différents arnaqueurs ont pu acheter des "droits à polluer" n'importe où en Europe, puis les revendre à une entreprise française en se gardant bien de payer la TVA. Avec 20% de bénéfices assurés à chaque vente, les gains sont rapides, et conséquents : les pertes s'élèveraient à plus d'un milliard et demi d'euros pour le gouvernement français, qui n'en a récupéré qu'une infime partie (on parle de centaines de millions tout de même) lors du procès. Au niveau européen, la même arnaque aurait rapporté entre 6 et 7 milliards à ses "cerveaux".
Même une fois ce goût pour la démesure bien installé dans l'esprit du spectateur, on reste surpris par les agissements de Mouly, qu'il se lance dans un rap à sa gloire ou qu'il raconte les Bar-mitzvah folles organisées par lui ou ses partenaires richissimes pour leurs enfants, qui n'ont rien à envier à Coco, le personnage haut en couleur inventé par Gad Elmaleh - ce dernier apparaît d'ailleurs en coup de vent lors d'une fête, tout comme Garou, Cyril Hanouna, Puff Daddy ou Pharrell Williams, tous invités à grands frais pour divertir les invités.

Après Tiger King, la série de Netflix consacrée à un autre personnage incroyable mais vrai, les directeurs de la plateforme confirment plus que jamais leur goût pour les documentaires "WTF", où l'on passe la majeure partie de l'intrigue interloqués par les choix de vie de leurs protagonistes hors normes. Dans ce registre, Les Rois de l'arnaque est encore plus passionnant que son aîné, parce qu'il parvient à interroger justement la question du vrai et du faux à propos de cet être passé maître en entourloupes. En interpellant directement Mouly sur ses contradictions et secrets (de nombreux éléments de cette affaire n'ont pas encore été élucidés), Nicloux dresse en fait le portrait d'un homme qui s'est créé un personnage et qui ne peut plus revenir en arrière. Ainsi, quand il est ouvertement accusé de cacher des faits, il s'énerve, puis réclame un détecteur de mensonges pour "prouver" son innocence, sachant pertinemment que ce procédé, bien que très cinématographique, n'est absolument pas reconnu par la justice française. Il le sait, les créateurs du doc également, le public aussi... Personne n'est dupe, mais le spectacle est fascinant. La vérité si je mens, littéralement.

Au Royaume des fauves (Tiger King) : la haine et le mulet [critique]