Jodie Foster va recevoir la Palme d'or d'honneur du festival de Cannes 2021. A l'occasion de la projection de Money Monster à Cannes, nous avions rencontré avec la petite fille de Taxi Driver devenue réalisatrice.
On vient d'apprendre que Jodie Foster recevra la Palme d'or d'honneur du prochain festival de Cannes. Suite à cette bonne nouvelle, nous republions notre entretien avec la comédienne et cinéaste, rencontrée justement en 2016 sur la Croisette.
Money Monster marchera sans doute mieux chez vous, un dimanche soir à la télé [critique]En 1976, avec Scorsese et De Niro, elle repeignait les marches de Cannes en rouge sang grâce à une Palme d’or devenue culte. Aujourd’hui, elle dirige George Clooney et Julia Roberts dans son quatrième film en tant que réalisatrice. Entre temps : quatre décennies, deux Oscars, des films avec Fincher, Polanski, Mel Gibson et Hannibal Lecter. Jodie Foster retrace la route qui mène de Taxi Driver à Money Monster.
Il y a quelque chose de Benjamin Button dans le parcours de Jodie Foster. En 1976, quand elle débarque à Cannes pour dégoupiller la grenade Taxi Driver, elle a 13 ans, d’adorables tâches de rousseur sur le visage et… un CV long comme le bras, entamé dès ses premiers contrats de bébé mannequin. "J’avais beaucoup plus d’expérience que Scorsese !", rigole-t-elle aujourd’hui. 40 ans plus tard, elle est de retour sur la Croisette pour dévoiler son quatrième film de réalisatrice, dont elle parle avec beaucoup d’humilité, presque un peu de timidité. La professionnelle aguerrie est devenue une débutante.
La présentation hors compète de Money Monster (un conte moral sur un gourou de la finance pris en otage par un petit épargnant fauché) est en tout cas l’occasion idéale pour souffler les quarante bougies de Taxi Driver. Le chef-d’œuvre du Nouvel Hollywood est célébré un peu partout depuis le début de l’année (encore le mois dernier au Festival de Tribeca, avec Scorsese, De Niro, Paul Schrader et Jodie on stage) mais, après tout, c’est à Cannes que tout a commencé. Les débats sur l’ultra-violence, Travis Bickle en icône « no future », les jurés Sergio Leone et Costa-Gavras qui convainquent un Tennessee Williams réticent de donner la Palme à Scorsese… C’est aussi à ce moment que Jodie Foster devint la petite fiancée de la France giscardienne, enquillant les interviews dans la langue de Molière sur des terrasses écrasées de soleil, expliquant doctement les tenants et les aboutissants de ce manifeste proto-punk, totalement nihiliste. C’était une autre époque, oui, où on pouvait incarner une pute mineure en platform shoes dans un New York puant la fange, tout en signant dans la foulée un deal avec Disney afin de devenir la nouvelle teen idol maison.
Après ça, bizarrement, le Festival de Cannes et Jodie Foster se sont un peu perdus de vue. Elle faillit être Présidente du Jury en 2001, mais fit faux bond à Gilles Jacob à la dernière minute, préférant remplacer Nicole Kidman au générique de Panic Room. Il y eut Le Complexe du Castor, en 2011, qui signifia surtout que Jodie était passée à autre chose : la mise en scène. Elle n’a signé que quatre films en 25 ans (son premier, Le Petit Homme, est sorti en 1991) mais ces jours-ci, le rythme s’accélère. Elle n’a plus fait l’actrice depuis son fabuleux speech des Golden Globes 2013 (un très amusant vrai-faux coming-out). Ça a l’air sérieux. Elle était encore en plein mixage de Money Monster quand elle a appelé à la maison, un vendredi soir. "Bonjour, c’est Jodie Foster". Cette voix… Elle parle toujours un Français parfait, mais s’obstine à dire "le" Palme d’Or.
« CANNES, C’ETAIT COMME DISNEYLAND… »
"En 76, c’était mon premier Cannes, mais je suis ne pas resté longtemps. Je n’étais déjà plus là pour la remise des prix. Je tournais un film pour Disney à l’époque (Un vendredi dingue, dingue, dingue, alias Freaky Friday) et ils ne m’avaient accordé que trois jours pour monter les marches, faire quelques interviews, etc... Les caméras, la presse, c’était nouveau pour moi. J’étais ravie, c’était comme aller à Disneyland, je rencontrais plein de gens, je pouvais pratiquer le français. Je crois que j’avais trois ou quatre films là-bas cette année-là : Bugsy Malone, La petite fille au bout du chemin, Taxi Driver donc, et un film canadien qui s’appelait, euh… The End of the Summer ? (Echoes of a summer en fait - ndlr) J’avais déjà beaucoup tourné pour mon âge. Martin Scorsese, lui n’avait fait que trois ou quatre films. J’avais plus d’expérience que lui ! Mais j’étais surtout une de ses grandes fans. J’adorais Mean Streets, que j’avais vu plusieurs fois avec ma mère. C’était irréel de me retrouver à Cannes avec lui."
CAP D’ANTIBES PARANO
"Taxi Driver sentait le souffre, il déclenchait des débats partout où il passait. On lui reprochait sa violence, ce qui est quand même à mourir de rire – le film n’est pas violent du tout ! Mais du coup, Martin Scorsese, Robert De Niro et Harvey Keitel étaient assez paranos, ils avaient peur que ça joue contre le film. Ils étaient terrés au Cap d’Antibes, n’en sortant que quand ils n’avaient vraiment plus le choix. Ils fuyaient la presse. Qu’allaient penser les journalistes ? Le jury allait-il aimer le film ? Il y avait toutes ces questions dans l’air, beaucoup de tension. Scorsese avait même demandé à la critique Pauline Kael (qui avait beaucoup défendu Taxi Driver lors de sa sortie aux Etats-Unis en février 76 - ndlr) de nous accompagner, comme pour se protéger. Moi, je me fichais un peu de tout ça. J’avais 13 ans, je préférais manger des glaces sur la plage."
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PALME DOG
"Est-ce que Cannes m’a transformé ? D’un point de vue professionnel, oui, totalement. J’en avais d’ailleurs conscience au moment même où c’était en train d’arriver. Tout ça parce que Napoléon venait de mourir. Napoléon, c’était mon petit chien, un yorkshire. La personne que j’aimais le plus au monde. Alors que j’allais partir prendre l’avion pour Cannes, il est tombé dans les escaliers, il a fallu l’emmener chez le vétérinaire en urgence. J’ai appris sa mort juste avant que l’avion ne décolle. J’étais effondré, en larmes. Je n’ai pas décroché un mot du voyage. Ma mère se faisait du souci. Puis j’ai commencé à me faire ce petit film dans ma tête. A me dire que si ce drame arrivait à ce moment-là, c’était un signe, le signe qu’il était temps que je grandisse, que ma vie change. J’ai traversé Cannes un peu traumatisée. Et j’en suis sorti différente. Voilà pour la backstory, comme on dit en anglais !"
MAGIC MEL
"Je ne suis pas si souvent retourné à Cannes après ça. Ça ne sert à rien d’y aller si on n’a rien à y faire, aucun film à présenter. Et les œuvres grand public croisent rarement la route du Festival. Attendez, laissez-moi voir… Je crois que j’y suis retourné à l’époque de Panic Room (en 2001, en effet, pour remettre un Prix lors de la cérémonie de clôture - ndlr). Puis il y a eu Le Complexe du Castor, avec Mel Gibson. J’adore Mel, depuis ma toute première rencontre avec lui. Il est aussi très proche de Robert Downey Jr., que j’ai dirigé dans Week-end en famille (1996). Mel est un grand acteur bien sûr, mais c’est surtout un immense réalisateur. C’est la facette de lui qui me fascine le plus. Il vient de réaliser un nouveau film en Australie (Hacksaw Ridge), il est en plein montage ces jours-ci. J’ai très hâte de voir ça."
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"Ca fait longtemps que je n’ai pas été dans un film en tant qu’actrice, mais ça ne veut pas dire que c’est fini pour autant. Je n’arrêterai jamais de jouer la comédie. J’ai simplement voulu me concentrer sur la mise en scène. Fincher m’a choisi pour réaliser un épisode de House of Cards. Pour Netflix, j’ai aussi tourné des épisodes de Orange is the new black. Comme on dit aux Etats-Unis : « La télé, c’est plus la télé. » Aujourd’hui, les spectateurs ne vont en salles que pour voir d’énormes divertissements, ils comptent sur les séries pour leur raconter des histoires plus profondes. Les films américains sont tous « franchisés », il y a en de moins en moins et ils s’adressent à une audience de plus en plus large. L’industrie est en train de muter. Mais je ne suis pas patronne de studio, donc ça ne m’atteint pas directement. Télé, cinéma, petit ou grand écran, série, dessin animé : j’irai là où il y a de la créativité."
DIRECTED BY JODIE FOSTER
"Money Monster, c’est assez différent de ce que j’ai pu faire en tant que réalisatrice jusqu’à présent. Un thriller avec des stars… C’est l’histoire d’une célébrité très narcissique, un homme de spectacle, qui a perdu son âme. Il est pris en otage par ce jeune homme joué par Jack O’Connell et le lien qui se développe entre eux va le faire reprendre contact avec le réel, avec lui-même. Je ne sais pas si c’est un film personnel, disons qu’on y retrouve certaines préoccupations de mes précédents films. Sauf qu’il y a aussi des policiers, une bombe, des coups de feu, c’est un vrai film de genre. J’ai développé l’histoire avec deux jeunes producteurs, on l’a apporté à George Clooney, il a aimé, et Sony a alors financé le film. Ce n’est que mon quatrième long-métrage, j’ai toujours voulu réaliser mais je n’ai pas fait tant de films que ça. C’est comme si toute ma vie d’actrice avait été mon école de cinéma. Que chaque réalisateur m’avait enseigné quelque chose. Et j’ai quand même croisé quelques grands réalisateurs…"
STAR SYSTEM
"Je n’ai pas spécialement envie de faire de gros films de studio, mais quand des stars sont à l’affiche, la taille du film change automatiquement. Clooney, c’est quelqu’un de très curieux, qui s’intéresse à tout et qui du coup s’ennuie très vite. Il fait toujours plusieurs choses à la fois, il joue la comédie le matin et prend un avion le soir pour aller à l’autre bout de la planète. Julia Roberts est magnifique dans le film, vraiment superbe. Elle m’a impressionné, je crois avoir saisi des nuances inédites chez elle. C’est compliqué de filmer des vedettes comme George et Julia, parce qu’ils arrivent avec leur « bagage ». Les spectateurs les connaissent tellement bien, il faut arriver à les saisir sous un angle inédit. Le plus fascinant, c’est l’alchimie extraordinaire qui existe entre eux deux, ils s’accordent très vite, se comprennent instinctivement. On leur donne des petites notes, ils jouent immédiatement avec. Dans ces moments-là, on a juste envie de se mettre en retrait et de les laisser faire. Au fait, vous vous rendez compte que c’est la première fois que Julia Roberts va aller à Cannes ?"
Propos recueillis par Frédéric Foubert
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