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Démonstratif, sentencieux, Fences est avant tout un terrain de jeu pour Denzel Washington, totalement habité par un rôle qui semble être celui de sa vie.
Pittsburgh, 1957. Troy Maxson, éboueur, rapporte chaque vendredi soir sa paie de la semaine à sa femme qui met la nourriture sur la table pendant qu’il boit (trop) avec son meilleur ami et collègue en dissertant longuement sur les petites et grandes choses de la vie. En ruminant, surtout, son histoire fondatrice, son rêve de devenir joueur de baseball professionnel, brisé par la réalité d’une époque qui ne permettait pas à un Noir d’intégrer la Major League réservée aux Blancs. On est toujours dans l’Amérique ségrégationniste, mais on perçoit les échos lointains de timides changements à travers la voix du fils, amoureux de baseball comme son père, à qui l’on propose une bourse d’étude pour intégrer l’équipe d’une université blanche. Par rigidité, par aveuglement, par incrédulité et par jalousie, Troy Maxson refuse catégoriquement à son fils la chance que lui n’a jamais eue.
L’ogre Washington
Drame familial, social, racial, Fences est l’adaptation d’une pièce du dramaturge noir August Wilson, qui s’inscrit dans un cycle de dix pièces sur l’évolution de la condition noire aux Etats-Unis. Le texte est dense, complexe, brillant et rouvre des plaies que l’histoire américaine n’a jamais bien refermées. Ce rôle de patriarche à la fois séduisant et tyrannique, qui s’écoute beaucoup parler, a été joué pour la première fois à Broadway en 1987 par James Earl Jones. On a pourtant la sensation qu’il a été créé pour Denzel Washington (qui l’a également tenu au théâtre), tant l’acteur-réalisateur l’habite, le porte sur ses épaules comme une croix qu’il était destiné à porter. Il bouffe toutes les scènes, d’autant plus facilement qu’elles sont presque toutes dans un espace clôt, retranché dans son back yard, comme son personnage bouffe sa famille, étouffant femme et enfants sous le poids de ses discours, ses traumas et son refus de voir la réalité. Entravé par ces « clôtures » (Fences, en anglais) qui l’ont empêché de se réaliser et qui l’empêchent aujourd’hui d’évoluer. S’appuyant sur un texte fort mais sentencieux, Denzel finit par cannibaliser le film, qui s’écroule d’avoir tant de choses à porter – mais concède toute de même à Viola Davis deux scènes, bouleversantes, qui suffiront sans doute à lui valoir l’Oscar dimanche prochain.