Le Cercle des neiges
Netflix

Le cinéaste espagnol hollywoodisé retrouve sa langue maternelle pour une relecture prodigieuse d’un fait divers datant de 1972, soixante-dix jours de survie limite après un accident d’avion dans la Cordillère des Andes.

Les seventies en Uruguay. Des gamins de Montevideo, sportifs, bourgeois, cathos, jeunes – surtout jeunes. Quelques plans les captent sur un terrain de rugby, puis dans les vestiaires, dans un café, dans un aéroport, dans la cabine de l’avion qui doit les mener à Santiago du Chili pour leur prochain match. L'exposition dure du Cercle des neiges dure une petite dizaine de minutes, dix minutes qui ne permettent pas vraiment de les identifier, juste d’ébaucher un portrait de groupe et de donner une impression générale.

Tout va ensuite encore plus vite : avarie, crash, déflagration terrible, l’avion sectionné en deux, une moitié qui se détache, l’autre brutalement soufflée par le choc dévastateur de la dépressurisation. Le drame se déroule en un éclair, puis tout s’arrête net. Le silence. La neige, tout autour, partout. Des montagnes majestueuses qui masquent le soleil la moitié de la journée. Les nuits à - 20°, les lèvres craquelées, les plaies ouvertes qui s’infectent, se nécrosent, la fièvre, les corps gelés, un tout autre portrait du même groupe, une tout autre impression générale. Et la faim.

Le Cercle des neiges
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Le fait divers est connu, célèbre même, dans le monde entier. Il y a eu des livres, des films, des documentaires, des articles, et un écho persistant dans l’inconscient collectif. "Ah oui, l’équipe de rugby cannibale, c’est bien cela ?" Si on veut, oui. Mais aussi tout à fait autre chose. Il y a deux formes de survivals, ceux qui exaltent l’humain et ceux qui soulignent ses limites. Ceux qui célèbrent la résilience de son esprit et ceux qui le réduisent à ses instincts.

La simple hypothèse de l’anthropophagie verse immédiatement dans le camp horrifique, l’homme ramené au rang de bête, la survie au prix fort, au prix de la perte de ce qui fonde son Humanité. Tout le projet de ce film (et avant lui du livre de Pablo Vierci dont il est adapté) est de renverser cette certitude.

Dans cette histoire, du moins dans cette version de cette histoire, aucune part n’est laissée à l’instinct. Le groupe s’organise, devient "société" (titre original : La Société de la neige), choisit de dépasser ses propres tabous en sacralisant sa survie, qui devient non plus un réflexe animal mais un enjeu spirituel.

Le Cercle des neiges
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Là où tout film de groupe se doit théoriquement de faire exister chacun de ses membres, Bayona s’efforce au contraire de les rendre indiscernables, les visages comme les noms ou les personnalités. Chacun se fond dans le tout, dans le tous, la mort devient un tribut, un sacrifice, l’accession à une conscience globale.

Le Cercle des neiges réussit cette inversion de perspective par sa mise en scène du collectif (l’humanité tout entière ?) comme véritable personnage principal. Les thèmes religieux (Vie, Mort, Sacrifice, Sainteté, Résurrection) se voient ainsi reformulés en version holistique laïque, le corps de l’Homme à la place du corps du Christ, dans une démarche qui pourrait être blasphématoire si elle n’était aussi profondément, douloureusement, viscéralement compassionnelle.

Le Cercle des neiges . De Juan Antonio Bayona. Avec Enzo Vogrincic Roldán, Simón Hempe, Rafael Federman... Durée 2h24. Disponible le 4 janvier sur Netflix.